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Interview
Par la galerie Alain le Gaillard

Galerie Alain le Gaillard. Quels sont tes sujets ?
Julien Beyneton. Je m’arrête sur ce qui me touche en bien ou en mal. J’aime montrer les petites histoires du quotidien et les personnes qui en sont les acteurs. En ce qui concerne les scènes de rue, j’essaie d’être le plus objectif possible par rapport à ce que je vois et de montrer un lieu sans trahir son atmosphère et sa population. Pour les portraits, il y a une approche plus personnelle.

Comment procèdes-tu quand tu fais des portraits des gens que tu rencontres ?
Si c’est le portrait d’une personne en particulier, il y a toujours au départ une discussion. Que ce soit un proche ou un inconnu. Tout d’abord, je demande aux personnes que je ne connais pas et que j’ai envie de peindre, si je peux les photographier. On discute un moment, ensuite je les prends en photo, si elles sont d’accord bien sûr. Je promets toujours de leur donner une reproduction de la peinture une fois réalisée. Par la suite, quand je peins dans mon atelier, je pense à la personne en essayant toujours de rester crédible. Mon souci est d’être réaliste, de ne pas tricher, de ne pas trahir les gens que je peins. J’ai comme un contrat de conscience envers eux : j’ai envie de les représenter et d’être leur représentant.

Tu voudrais que ta peinture se comprenne d’elle-même ?
J’aime bien que mes amis, ma famille, les amateurs d’art, comme les gens que je peins, comprennent ma peinture. Je n’ai pas un esprit élitiste, je voudrais que les choses soient immédiatement accessibles et cela pour tout le monde.
J’essaye de garder une certaine discrétion. J’ai un avis, mais je ne cherche pas à le mettre trop en avant ou à l’imposer. Je laisse au spectateur le soin de le deviner. Je veux bien considérer ma peinture comme légèrement revendicative, mais je tiens à rester subtil. J’essaie de ne pas marteler un message en utilisant de grosses ficelles. Dans ma peinture, il est question de montrer et non de juger les gens.

Il est évident que tu ne peins pas des portraits classiques. Comment construis-tu tes portraits ?
Je fais le portrait de la personne dans son environnement. C’est vrai que le petit monde qui entoure un individu constitue tout aussi bien sa personnalité que son visage. Tout dépend aussi de la réceptivité de l’autre et de ce qu’il me donne à voir. Ma peinture est basée sur une collaboration. En fonction de sa volonté, de son implication, ça peut aller très loin. Le détail le plus anodin est un indice qui a son importance.

Quel est ton usage de la photographie ?
J’utilise la photo comme outil. C’est un pense-bête pour me rappeler les détails, l’architecture etc… Pour un grand format, je peux utiliser une trentaine de clichés différents plus des magazines. Je ne cherche pas du tout à reproduire une photographie en peinture.

Ta peinture montre souvent des scènes de rue dans des quartiers dits populaires, que ce soit à Paris ou ailleurs. Tu as déjà essayé de peindre dans des quartiers plus « chics » ?
Je trouve que les beaux quartiers sont beaucoup plus pauvres, visuellement plus lisses, leurs atmosphères sont moins stimulantes. Je m’ennuie un peu à les peindre. Je ne voudrais surtout pas tomber dans l’exagération, la gratuité ou la caricature systématique. Pour cela, je représente des scènes sur les quartiers chics quand je suis vraiment inspiré ; en proportion, il y a donc moins de peintures sur ce sujet.

Quel est le sujet de ton exposition à la galerie ?
Mon travail a toujours été basé sur les mêmes sujets, c’est à dire : des scènes de vie et des portraits. Je reste un chroniqueur de mon temps et de la société dans laquelle je vis. Aujourd’hui, je continue dans la même direction. L’exposition s’appelle « 2004 » car il s’agit de ce que j’ai peint cette année.

Pourquoi as-tu choisi de peindre Les Halles ?
C’était l’occasion pour moi de faire une grande fresque panoramique. Les Halles m’ont inspiré parce que c’est un lieu bouillonnant, il y a de tout et beaucoup de jeunes, c’est un passage obligé qui a du caractère. D’autre part, j’ai voulu immortaliser ce lieu avant sa reconstruction. C’est comme un instantané et un jour on dira peut-être: « ah, c’était comme ça ».

Pour ton exposition à la galerie Alain Le Gaillard, tu présenteras pour la première fois une sculpture. Qu’est ce qui t’as amené au volume ?
Depuis longtemps, je voulais faire de la sculpture. J’avais du mal à trouver le bon matériau, rien de ce que je tentais ne fonctionnait. Bref, mon idée c’était de faire un personnage sorti tout droit de ma peinture. Cette sculpture s’inscrit parfaitement dans la continuité de mon travail et c’est ce qui m’importait le plus. En fait, on peut la voir comme une peinture en 3 dimensions.
J’avais commencé à faire des petits personnages fictifs en papier mâché juste pour m’amuser. Mais dans mon esprit, ces personnages n’existaient pas. Ils ne m’intéressaient pas vraiment parce qu’ils ne représentaient rien pour moi. Les individus que j’ai envie de montrer sont tous vrais.
Finalement, j’ai décidé de faire un portrait taille réelle. Comme un tableau, c’est une pièce unique pour laquelle j’ai utilisé des matériaux pauvres: des tasseaux et du grillage pour la structure, du papier mâché pour le modelé et la peinture pour finir.

Quelle est l’histoire de ce personnage représenté par cette sculpture ?
Il s’appelle Yannick, il a 23 ans, c’est un type gentil, courtois et de bonne humeur. Le matin, il va à l’ANPE, l’après-midi il fait la manche vers Montparnasse, et le soir, il dort dans un foyer. Quand je l’ai vu pour la première fois, il m’a tout de suite interpellé et j’ai eu envie de faire un « beau » portrait de lui. Nous avons beaucoup parlé et il m’a raconté un peu de sa vie. Après avoir réalisé la sculpture, j’ai cherché à le retrouver pour lui en donner une photo, mais il n’était plus là. Il a peut-être dû changer de coin, mais j’espère surtout qu’il a trouvé un job. Je ne l’ai pas recroisé à ce jour

Tu as fait toute une série de portraits de tes rappeurs préférés. La musique aussi semble nourrir ta peinture. Est ce qu’elle « oriente » parfois ton travail ?
Je peins toujours en musique. Avec le Hip-Hop, je trouve un rythme, une atmosphère une énergie …
Une chanson peut aussi être à l’origine d’une peinture. C’était le cas pour le tableau Rue de la solidarité. J’avais en tête les paroles d’une chanson d’Oxmo Puccino : « mes compliments si t’en a deux, moi j’en ai qu’une maman, j’lui fait ses courses quand elle veut même si ça m’soûle par moments ». Un jour, en bas de chez moi, je vois un jeune qui revient des courses avec sa mère. On voyait que ça le faisait chier, mais il était quand même fier de l’aider. Pour moi c’était la parfaite illustration de cette rime. Autre exemple : quand Oxmo rappe « Les p’tits d’ici », ça m’a rappelé les gosses qui jouent devant un immeuble insalubre du 19ème arrondissement au 55 rue Compans. Le tableau du même nom est un plaidoyer pour ces familles qui continuent à y vivre tant bien que mal, à revendiquer leur droit à un logement décent, et qui n’ont toujours pas été entendues.

Parle-moi de ta rencontre avec Oxmo Puccino.
Régulièrement, je réalise des portraits de chanteurs de hip-hop que j’apprécie vraiment. Ce sont les seules personnes que je peins sans les avoir vues.
Depuis des années, je rêvais, comme bon fan, d’avoir la chance de pouvoir en rencontrer au moins un. Oxmo Puccino était le premier sur « ma liste ». Je crois que mon travail l’a touché. C’est essentiel qu’il y ait une réciprocité. Nous nous sommes très bien entendus, nous avons parlé de ce projet de portrait et nous l’avons pensé ensemble. Il y a eu une vraie collaboration : chaque élément de cette peinture en est le fruit. Du choix du lieu à la présence du moindre détail, tout à une signification. Je l’ai peint dans la rue où il a grandi. Oxmo n’a pas été avare dans cet échange : je suis ravi. Je pourrais en parler des heures, mais je ne préfère pas en raconter plus. J’ai dit l’essentiel. Pour moi c’était grandiose. Il a beaucoup de talent et le personnage en est à la hauteur. Ce portrait d’Oxmo Puccino est pour moi j’espère la première pierre d’une longue série. Je compte bien continuer, c’est encourageant. J’ai prévu de réaliser le portrait de Mc jean Gab’1 après cette expo. Nous nous sommes aussi très bien entendus. Pour moi ce sont des moments incroyables et super motivants.

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