ART | CRITIQUE

Juan Muñoz

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Une catastrophe ferroviaire, avec locomotives et wagons déraillés, et trois groupes de personnages : deux installations de l’artiste espagnol Juan Muñoz, mort prématurément en 2001, en forme d’illustrations en trois dimensions de contes de l’absurde, qui restent à imaginer.

Deux locomotrices désorientées et des wagons sens dessus dessous encombrent spectaculairement le rez-de-chaussée de la galerie. En ce mois de mars 2004, l’effet est saisissant : l’irruption de la tragique actualité dans la sphère éthérée de l’art, brutale.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. L’installation date de 2001, année de la mort prématurée de l’artiste. De surcroît, ces trains ne sont pas déchiquetés, victimes d’une quelconque explosion, ils ont juste déraillé. Oubliés, ils ont viré à la couleur rouille des ruines ferroviaires.
En y regardant de plus près, c’est un monde de lilliputiens qui a été abandonné là. Dans les wagons, des immeubles, aux stores baissés, aux portes ouvertes, des squares avec leurs bancs, et leurs arbres malingres, des escaliers qui ne mènent nulle part (figure récurrente de l’œuvre de Muñoz, avec celle des balcons sans accès).
Une vi(ll)e traversant l’espace à la vitesse d’un TGV s’est échouée là, révélée en même temps que disparue après un quelconque carambolage. Le tableau fonctionne comme une illustration en trois dimensions d’un conte de l’absurde, qui reste à imaginer.

C’est ce qu’évoquent encore les trois groupes de personnages, uniformément gris ou jaunes, qui hantent le sous-sol. De taille presque humaine, ils sont juste assez petits pour s’offrir à la domination du spectateur.
Mais, tout occupés qu’ils sont, dans des tête-à-tête exclusifs, ils le maintiennent en périphérie de leurs fous rires, de leurs contemplations narcissiques ou de leurs courtoises conversations. La familiarité des situations n’en exacerbe que mieux leur inquiétante étrangeté. L’homme penché au plus près de son image réfléchie ferme les yeux. Les deux compères pris de fous rires, comme chatouillés par une farandole de petits bonshommes de plomb, se contorsionnent sur des chaises sans fond. Quant aux trois Chinois, affables autant que peuvent l’être des Chinois, ils sont amputés de leurs pieds, sans l’air de s’en soucier le moins du monde.

Le spectateur erre d’un groupe à l’autre, d’une ruine à l’autre, réduit à l’état de voyeur, dans un angoissant retournement de l’aliénation. Il n’y a pas que les trains qui déraillent, et Juan Muñoz avait une singulière et noire lucidité en la matière.

Juan Muñoz
— Descarrilamiento, 2001. Acier. 83 x 370 x 53 cm (chacun).
— One Laughing At The Other, 2000. Résine polyester, fer et bronze. 145 x 130 x 60 cm.
— One Figure, 2000. Résine polyester, et miroir. 110 x 60 x 50 cm.
— 3 Chinos, 2001. Bronze et patine jaune. 141 x 44 x 40 cm, 145 x 56 x 26 cm, 142 x 56 x 29 cm.
— Charcoal Drawing, 1994. 102 x 72,7 cm.

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