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Journal Notes from Backstage

21 Mar - 17 Mai 2014
Vernissage le 21 Mar 2014

Ce décalage entre la norme et la marge, le «on-stage» et le «backstage», sans cesse réitéré dans les œuvres de Pauline Boudry et Renate Lorenz, pousse le spectateur à considérer une esthétique propre à l’improvisation du backstage, où la subjectivité de chacun transparaîtrait par-delà l’adoption d’un personnage normalisé par les règles préétablies du spectacle.

Pauline Boudry/Renate Lorenz
Journal Notes from Backstage

Les films et installations de Pauline Boudry et Renate Lorenz nous poussent toujours à explorer la meilleure part de nous-mêmes, cette liberté et cette ouverture extrême que nous voudrions pouvoir exercer au jour le jour, nous défiant des codes sociaux qui nous encombrent. Dans un joyeux esprit de troupe, elles maîtrisent à la perfection l’élaboration de moments de lâcher-prise qui permettent de traiter sur un mode résolument queer le sujet particulièrement actuel de la construction culturelle des identités.

Dans Choisir la marge comme espace d’ouverture radicale (bell hooks, Choosing the Margin as a Space of Radical Openness, 1989, traduit en français par Mathieu K. Abonnenc et publié dans Petunia #3, juin 2011), l’auteure, enseignante et militante féministe bell hooks imagine la marge comme possible lieu de résistance aussi bien que d’oppression. C’est de cette position marginale que peut advenir une ouverture radicale qui permettrait la création d’une alternative au monde dominant.

Le backstage que Pauline Boudry et Renate Lorenz mettent en scène depuis quelques années, pourrait être compris comme une figuration pop de cet espace de la marge. Avec leur compagnon de route Werner Hirsch (acteur de la majorité de leurs films à ce jour: Normal Work, N.O. Body, Charming for the Revolution, No Past/No Future, Toxic) ou Ginger Brooks Takahashi, elles forment une véritable troupe dont les aventures backstage sont aussi cruciales que ce qui pourrait se passer «on stage». Car ce qui leur importe n’est pas tant le spectacle, cette forme d’entertainment mondialisé, que des formes marginales d’adresse au public, ce qui pourrait être une version queer de l’interview du rocker après sa performance en stade.

Dans Toxic, Werner Hirsch rejoue un passage d’une interview de Jean Genêt pour la BBC, dans laquelle ce dernier prend à parti les techniciens responsables de l’enregistrement pour les inciter à la rébellion et s’insurge que les interviewers, véritables représentants de l’ordre, essaient de le faire entrer dans la norme télévisuelle.

Ce décalage entre la norme et la marge, le «on-stage» et le «backstage», sans cesse réitéré dans les œuvres de Pauline Boudry et Renate Lorenz, pousse le spectateur à considérer une esthétique propre à l’improvisation du backstage, où la subjectivité de chacun transparaîtrait par-delà l’adoption d’un personnage normalisé par les règles préétablies du spectacle.

La partition de To Valerie Solanas and Marilyn Monroe in Recognition of their Desperation, composition de Pauline Oliveros datée de 1971, demande à chaque musicien de choisir cinq tons et de les maintenir pendant un temps très long. La capacité d’improvisation des interprètes est donc mise en valeur, jusqu’à ce qu’au milieu de la partition, il leur soit demandé d’imiter les tons et modulations produits par les autres, empêchant ainsi la domination d’un interprète sur un autre.

C’est après avoir lu le SCUM Manifesto de Valérie Solanas, manifeste anarcha-féministe, qu’Oliveros créa son opus musical. Le choix de cette partition comme épine dorsale du dernier film de Pauline Boudry et Renate Lorenz, met à nouveau l’accent sur la voix marginale: celle de Solanas, figure ambivalente de l’underground new yorkais, celle de Pauline Oliveros, pionnière de la musique électronique peu reconnue et celle de leurs interprètes, artistes et performers d’un underground posé ici comme lieu véritable de l’ouverture radicale.

Backstage, le public vient à la rencontre des artistes, les hiérarchies induites par le spectacle s’amenuisent. On peut être excentrique mais sans but, sans nécessité de plaire au spectateur, sans être l’objet de sa pulsion scopique, sans répliquer la division actif/passif que le spectacle induit (Notions largement explicitées par Laura Mulvey dans son recueil sur le cinéma: Visual and other pleasures, seconde édition, ed. palgrave macmillan, 2009). Le backstage est donc le lieu d’une invention de soi, une image de la marge comme lieu choisi pour une position artistique qui a pourtant accès au centre.
Le backstage est «cet espace dans la marge qui est un lieu de créativité et de pouvoir, un espace inclusif où nous recouvrons notre être, où nous avançons solidaires, afin d’effacer les catégories colonisateur/colonisés. » (bell hooks, op. cit.)

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