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John Coplans, Craigie Horsfield et Ingrid Mwangi

PMarie-Jeanne Caprasse
@12 Jan 2008

Toucher à l’humain dans ce qu’il a de plus universel, au-delà des cultures, des sexes ou des âges. Une exposition où les regards sur l’histoire qui forge l’humain s’entrecroisent, laissant apparaître quelques traces de vie vécue dans les photographies de John Coplans et Craigie Horsfield et la vidéo d’Ingrid Mwangi.

Des mains hautes de soixante centimètres se croisent et s’entrecroisent. Rugueuses, sillonnées par le temps, aux poils démesurés, elles donnent vie à une forme qui les dépasse. Allusions à un vagin démesuré pour certaines ou à une foule grouillante de vers gigantesques, toutes se distancient de l’image simple — celle de deux mains accolées — pour devenir des objets d’art autonomes.

Utilisant une chambre polaroid de très grande taille, John Coplans révèle un corps surdimensionné où se lit un nouveau genre d’histoire et de géographie. Depuis la reprise de son activité artistique à la soixantaine, il n’aura de cesse de photographier son propre corps, y scrutant les marques du temps et de la vie. C’est l’universel dans le corps qui l’intéresse et il prend soin de ne jamais photographier la tête, signe trop évident d’une identité. S’il fait œuvre de photographe, c’est en sculpteur qu’il opère, morcelant le corps et lui donnant une forme toujours renouvelée.

Dans ces treize photographies de la série « Interlocking Fingers » (1999 et 2000), Coplans se concentre exclusivement sur le motif créé par ses deux mains entrelacées. Le dispositif est rigoureux, simple et épuré. Suivant un même cadrage, un éclairage toujours neutre et indirect, seule la position des mains varie. Elles se détachent, sans ombre, sur un fond blanc uni.

Il révèle les moindres détails avec précision : grain de la peau, craquelures, ongles fatigués, stries remontant le long des doigts et plis des articulations. Cela en devient presque obscène, comme si Coplans nous montrait ce que l’on ne peut pas voir. Par un effet grossissant, il accentue les marques laissées par le temps. Et par son sujet, il nous pousse à regarder ce que la société d’aujourd’hui occulte ostensiblement : le corps d’un homme de quatre-vingt ans.

Dans une douce continuité de noirs et de blancs, les photographies de Craigie Horsfield nous emmènent dans un monde emprunt de nostalgie. Ces prises de vues d’un Barcelone des années quatre-vingt dix ont quelque chose de désuet. Que ce soit lorsqu’il montre une salle de danse de salon, un paysage industriel ou de la banlieue pauvre, ou encore ce portrait de deux ouvriers souriants, l’impression qui s’en dégage est une suspension du temps, de l’histoire.

Sa technique participe de cet effet. Il travaille la photographie comme un peintre. Procédant lui-même au tirage, selon une méthode qu’il garde secrète, il noircit ou éclaircit certaines zones, joue sur le grain, le flou et la netteté. Chaque tirage est unique, de grand format (environ 140×140 cm) et l’absence de vitre de protection accentue la matité et le velouté du papier. Mis à part la grandeur des formats, les références sont claires : la photographie du XIXe siècle, classique et sensuelle, et le pictorialisme, travaillant les effets de matière.

Ses photographies véhiculent une grande part d’humanité. Les paysages, où l’homme est absent, nous parlent pourtant de l’humain, comme s’ils avaient une âme. Même si Horsfield se défend de tout discours social, on ne peut s’empêcher de voir dans ses œuvres un travail rigoureux et sensible sur la difficile condition humaine. Son travail mêle subtilement l’intime et l’histoire des hommes. Transcendant les notions de présent, passé et futur, l’expérience de l’ici et du maintenant prend tout un coup une valeur trans-historique.

Retour à la temporalité, au présent des hommes et des femmes, dans la vidéo d’Ingrid Mwangi : Censored Rooms. Où une même scène se répète, celle des premiers émois d’un couple sur un canapé, avec un changement du protagoniste mâle à chaque nouvelle séquence. L’artiste, pour sa part, tient le rôle de la femme convoitée. Ces petites séquences vidéos sont tournées sur le mode de l’autobiographie, le spectateur est dans la position du voyeur. Pourtant, elles sont pures fictions.

Mwangi est née au Kenya, elle y a vécu ses quinze premières années puis s’est établie en Allemagne. Sa mère est allemande, son père est kenyan. Une double culture sur laquelle elle s’interroge. Se mettant elle-même en scène dans des performances ou des vidéos, elle questionne deux mondes dont elle tente de rapprocher les cultures.

Ici, elle interroge la sexualité et les stéréotypes associés à la libido africaine. Tout est dans le geste, les personnages ne se parlent pas. Elle filme l’attente de l’homme, seul sur le canapé, puis le premier baiser et les attouchements qui l’accompagnent. Si les gestes sont propres à chacun, ils sont tous d’une grande sensibilité. Une manière d’évoquer un acte universel vécu différemment selon le sexe, homme ou femme, selon la personnalité et le bagage culturel.

John Coplans :
— SP35 99 Interlocking Fingers n°5, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP36 99 Interlocking Fingers n°6, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP38 99 Interlocking Fingers n°8, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP40 99 Interlocking Fingers n°10, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP41 99 Interlocking Fingers n°11, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP42 99 Interlocking Fingers n°12, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP43 99 Interlocking Fingers n°13, 1999. Photo noir et blanc. 84 x 67 cm.
— SP40 99 Interlocking Fingers n°10, 2000. Photo noir et blanc. 114 x 90 cm.
— SP1 00 Interlocking Fingers n°15, 2000. Photo noir et blanc. 77 x 60 cm.
— SP2 00 Interlocking Fingers n°16, 2000. Photo noir et blanc. 77 x 60 cm.
— SP6 00 Interlocking Fingers n°20, 2000. Photo noir et blanc. 77 x 60 cm.
— SP7 00 Interlocking Fingers n°21, 2000. Photo noir et blanc. 77 x 60 cm.
— SP8 00 Interlocking Fingers n°22, 2000. Photo noir et blanc. 114 x 90 cm.

Craigie Horsfield :
— Asland, carretera nacional km10 Montcada i Reixach, Febrero 1996, 1996. Photo noir et blanc. 140 x 141 cm.
— Moll de Sant Bertran, Zona Franca, Barcelona, Marzo 1996, 1996. Photo noir et blanc. 140 x 138 cm .
— El Hondo, Vallbona, Barcelona, Diciembre 1995, 1996. Photo noir et blanc. 141 x 140 cm.
— Angel Fuentes i José Nin, Bolera Novedades, carrer de Casp, Barcelona, Febrero 1996, 1996. Photo noir et blanc. 138 x 142 cm.
— La Paloma, carrer del Tigre, Barcelona, Febrero 1996, 1996. Photo noir et blanc. 140 x 140 cm .
— Censored Rooms, 2003. DVD. 16’10.

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