ART | INTERVIEW

Jocelyn Wolff, galeriste

Jocelyn Wolff et Alexandre K., respectivement français et allemand, viennent d’ouvrir une galerie d’art contemporain dans le XIXe arrondissement. Pour une manière résolument européenne et internationale de concevoir la galerie, ancrée dans une réflexion sur le politique, et une haute conscience du rôle de l’artiste dans le contexte actuel.

PC Jocelyn et Alexandre, vous êtes respectivement français et allemand, vous avez 31 et 30 ans et venez d’ouvrir une galerie d’art contemporain au 65, rue Rébeval dans le XIXe arrondissement de Paris. Comment vous en est venu le projet ?
JW. C’est un projet personnel ancien, qui a trouvé une dynamique et un positionnement fort par le dialogue que nous entretenons ensemble, Alexandre et moi.

AK. Nous nous sommes rencontrés à Berlin il y a deux ans. En tant que commissaire, l’option de collaborer au travail de programmation d’un galeriste de ma génération — sans entrer moi-même dans une logique de galeriste — m’est apparue comme un challenge très attirant.

Comment vous êtes-vous répartis les rôles ?
JW. La programmation artistique est le fruit d’un échange permanent entre nous, qui partageons les mêmes affinités esthétiques et la même analyse du champ actuel de l’art ; c’est un travail à quatre yeux.

AK. Il est essentiel pour une galerie d’être toujours très informée de la scène internationale. En ce qui concerne la production, je considère que Berlin est actuellement la scène la plus dynamique et la plus importante pour les arts visuels. Résidant à Berlin, et Jocelyn à Paris, nous pouvons garder un œil sur beaucoup de choses (d’autant plus que nous voyageons fréquemment).

Comment avez-vous choisi ce quartier ?
JW. Il nous semble cohérent d’avoir un rôle précurseur quand on défend la jeune scène artistique. Le Plateau, situé à proximité immédiate de la galerie, affiche aussi sa singularité par son inscription dans un quartier émergent.

AK. C’est un quartier de Paris où vivent beaucoup d’artistes. Pourquoi Paris échapperait-elle à ce principe que l’on constate dans les grandes métropoles, qui veut que les jeunes galeries s’implantent là où les artistes résident ? Chelsea à New York ou Mitte à Berlin étaient des quartiers pourtant plus dégradés que Belleville. Nous avons fait le pari que la scène parisienne allait logiquement se renouveler par l’exploration de ses quartiers Est.

Quelles étaient vos activités antérieures ?
AK. Je suis commissaire d’exposition depuis plusieurs années et assistant à l’Academy of Visuals Arts de Leipzig.

JW. J’ai travaillé dans l’édition, les nouvelles technologies et dans un centre d’art contemporain.

Quelle est votre ligne de conduite en termes de programmation ?
AK. Nous cherchons des positions fortes, avec des artistes parfaitement conscients des paramètres qui fondent aujourd’hui une identité réellement contemporaine : une réflexion sur le politique, une haute conscience du rôle de l’artiste dans le contexte actuel et sur le cadre historique dans lequel il ou elle se positionne.

JW. Le maître-mot, c’est la qualité. Aussi, dans une logique d’anticipation, notre travail consiste à identifier et à rendre visible des positions qui vont s’inscrire demain dans le débat international. En France, par exemple, nous avons eu la chance de découvrir le travail de Gregory Forstner, peintre qui réside à Nice. Parmi les artistes de sa génération, sa position est selon nous unique en France par sa façon totalement décomplexée d’aborder son médium. Nous n’avons, quant à nous, aucun a priori pour un médium en particulier.

Qui sont les artistes de la galerie ?
JW. Outre Gregory Forstner, nous représentons également Clemens von Wedemeyer (Berlin), Ulrich Polster (Leipzig), Christoph Weber (Vienne) et Prinz Gholam (Berlin). Nous travaillons aussi avec d’autres artistes comme Frédéric Guelaff sur des projets spécifiques.

AK. Nous sommes également en relation avec d’autres artistes avec lesquels nous allons réaliser des projets dans le cadre de notre concept de programmation. Mais nous ne souhaitons pas défendre trop d’artistes en même temps.

Qui avez-vous exposé en ouverture ?
AK. Nous avons présenté Occupation, un film et un projet de Clemens von Wedemeyer, un artiste qui agit entre le cinéma et les arts plastiques, avec une réflexion extrêmement précise sur chacune de ces activités. Il sera présent dans plusieurs grandes expositions ces prochains mois, aux Kunst-Werke à Berlin par exemple.

Quelles sont les prochaines expositions ?
JW. Nous exposerons Ulrich Polster, qui réalise des installations vidéo d’une qualité inouï;e. Le vernissage aura lieu le 15 janvier et nous vous encourageons à venir découvrir son travail à cette occasion : c’est un artiste rare, d’Allemagne de l’Est, en pleine possession de ses moyens.

Quel partenariat avez-vous établit avec la Librairie de la rue de Tourtille ?
JW. La Librairie le Genre urbain est une librairie généraliste avec un fonds spécifique sur la ville, qui partage le même souci de qualité que nous (des lectures de Jacques Réda et Ludovic Janvier y ont été organisées dernièrement) ; un espace nous y est réservé, ce qui nous permet de doubler notre surface d’exposition. C’est aussi la rencontre avec un autre public ainsi que le fruit d’une amitié.

AK Nous aimons beaucoup l’idée que la visite des expositions des artistes de la galerie puisse débuter ou se prolonger dans une librairie — où nous allons aussi présenter un choix de livres lié aux références de nos artistes.

Quelle perception avez-vous du marché de l’art français ?
JW. J’observe l’arrivée d’une nouvelle génération de collectionneurs très ouverts, qui souhaite aller à la rencontre d’une position et d’un travail artistiques.

AK. Les grands collectionneurs en Allemagne, en Belgique et aux États-Unis notamment hésitent moins à aller à la rencontre des jeunes artistes. Le marché français me semble assez traditionnel.

Qui exposez-vous en ce moment ?
JW. Nous présentons jusqu’au 23 décembre la première exposition personnelle de Gregory Forstner. C’est l’occasion de découvrir une position sans concessions dans la jeune peinture française.

AK. C’est une exposition d’une grande tenue — qui montre bien le potentiel de ce jeune artiste dont c’est la première exposition personnelle.

PC. Merci d’avoir répondu à ces quelques questions et bonne chance.

AUTRES EVENEMENTS ART