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Jeremy Deller

PHélène Sirven
@12 Jan 2008

De la musique, des petites images, des autocollants et des objets : autant de morceaux de vie, de témoignages d’amitié, issus d’une exploration de la Californie populaire et marginale d’aujourd’hui — un étonnant métissage de passé et d’actualité.

Lorsque le visiteur pénètre dans la galerie, il voit une photographie qui contient une étrange architecture : Disneyland ? Non, il s’agit d’un temple mormon. Un peu plus loin, dans l’espace du bureau, six paysages saturés aux couleurs violentes. Le monde californien est soudain dressé là, peuplé de figures singulières et d’étendues immenses.

Les images, la musique installées par Jeremy Deller réveilleraient une vieille nostalgie — chez ceux qui, dans les années 1960-1970 aux États-Unis et ailleurs, ont « fait la route » en quête d’une plus que nécessaire liberté — si l’artiste n’avait pas renouvelé les données du voyage dans l’expérience récente qu’il livre au spectateur.
En effet, les cinq parties de ce « reportage » inscrivent au creux d’une exploration de la Californie populaire et marginale d’aujourd’hui un étonnant métissage de passé et d’actualité (l’histoire de Charles Manson côtoie en fait les répercussions du 11 septembre 2001).
Ce mixage, naturel mais renforcé par Deller, existe grâce à sa rencontre directe — plutôt chaleureuse — avec les gens dans leur environnement quotidien et leurs célébrations (Veteran’s Day Parade). De la prison au musée exotique, des grands espaces à l’habitacle du 4×4, le regard artistique de Jeremy Deller est toujours attentif à l’humain, et le lien avec ses actions précédentes reste actif. On se souvient de cette reconstitution d’une manifestation sanglante de mineurs anglais sous le gouvernement Thatcher, The Battle of Orgreave ; Deller avait su convaincre les véritables protagonistes de «rejouer» l’événement. Et les discussions qui avaient eu lieu donnaient à l’acte artistique la valeur d’un engagement fort.

La musique (folk, country) est présente dans ce parcours d’errance relative dont l’artiste restitue des fragments, des gros plans, des détails, des paysages, des portraits. Les petites images (photos faites par l’artiste, dessins achetés à des prisonniers) et les objets qui les accompagnent, dont un extraordinaire cœur en fil de fer barbelé, n’ont pas plus l’allure de reliques que de documents. Il s’agirait plutôt de morceaux de vie, de témoignages d’amitié, de sources pour un voyage à venir. Deller avait besoin de quitter l’Angleterre et d’être aux États-Unis pour continuer son travail artistique, prendre de la distance s’imposait ; il a fallu entrer dans le paysage « jusqu’au bout » : l’artiste a acheté un terrain.

Le « guide » intitulé After The Gold Rush (Après la Ruée vers l’Or) constitue également un élément non négligeable de cet ensemble de pistes visuelles et sonores. Mais la force de l’installation réside ici dans la collection d’autocollants pour voitures que Deller a voulus plus ou moins provocants (« God Less America » au lieu de « Bless ») : ces objets codés participent du mode de rencontre, où la politique se mêle au social. Le déploiement de ces mini-messages évoque immédiatement l’efficacité et la simplicité américaines : ce que tu es et ce que tu n’es pas est visible sans ambiguïté.

L’artiste a tenu à éviter le cube blanc : les murs de la pièce centrale de la galerie ont été repeints en jaune et en orange saumoné. Des couleurs du sud, sur lesquelles se détachent les couleurs vives des photographies, des mots, comme autant de portes vers des mondes en fait assez lointains.
Il semblerait que Deller invite celui qui regarde le réel à le faire vraiment. La traversée en voiture renvoie à celle des temps précieux qui parfois nous sont donnés si nous savons les saisir. Cette exposition sollicite notre mode d’approche des situations, des objets qui surgissent dans leur active incongruïté : ainsi cette botte de cow-boy est un ornement funéraire sur une tombe minimale, la photographie le montre.

La Californie (l’intérieur des terres), pays d’espoir, de désillusion, de violence, de corruption et de désert, devient sous l’impulsion de Jeremy Deller une sorte de collage sans concession. Les liens entre les parties du « puzzle » sont tangibles et il nous appartient de ne pas oublier l’attraction du vide qui sous-tend tout voyage. Comment l’image peut-elle interroger l’altérité ? Peut-être en procédant au lent assemblage des parties manquantes de la petite histoire des gens.

Jeremy Deller :
Entrée :
Sans titre, 2001. Photographie couleur. 30 x 30 cm.

Salle d’exposition:
Installation composée de :
—27 autocollants (Nixon Now ; The Best Way to Predict the Future is to Help Create It ; If You Must Burn Our Flag… Please — Wrap Yorself in It First ; Don’t Steal, the Government Hates Competition ; Always Remeber You’re Unique Just Like Everyone Else ; God less America ; Sure, You Can Have My Gun … Bullets First ! ; If You Think Education is Expensive, Try Ignorance ; I Love USA ; Keep Your Rosaries Off My Ovaries ; 20 Mule Team / Death Valley California ; Attitudes Are The Real Disability ; Not Everyone Sperm Needs A Name ; Peace is Sane ; Girls Rule ; Without Trucks… America Stops ! ; The Last Time People Listened to a … Bush… They Wandered in The Desert for Forty Years ; Warning / I Have Precognitive Paranoïa ; Don’t Get Even — Get Odd ; Lighten Up ; Inner Calm ; Treehugging / Dirt Workshipper ; Volcano California ; If You Burn My Country’s Flag, PleaseWrap Yourself inIt First ; Invest in America / Buy a Congressman ; A Rind is A Terrible Thing to Waste Compost ; Bush : Texas Homegrown Dope).

— 29 photographies en couleurs, 2001. Cadre plexi.
Voiture de Jeremy. 28 x 35, 50 cm.
Voiture. 20,50 x 25,50 cm.
Ombre. 10,50 x 15,50 cm.
Ovni. 20,50 x 25,50 cm.
Voiture avec croix. 51 x 41 cm.
UFO. 10,50 x 15,50 cm.
Cible. 20,50 x 25,50 cm.
Homeless Church. 10,50 x 15,50 cm.
Fille sur palette. 15,50 x 10,50 cm.
California Prison. 9,50 x 13 cm.
Prisonnier. 20 ,50 x 25,50 cm.
Correctional Medical. 9,50 x 13 cm.
Contest / Piscine. 21 x 26 cm.
Peace of Mind. 10,50 x 15,50 cm.
Point of Interest. 21 x 26 cm.
Miss Exotic. 10,50 x 15,50 cm.
Casse auto. 10,50 x 15,50 cm.
Coiffeur. 28 x 35,50 cm.
Coiffeur. 15,50 x 10,50 cm.
Note. 10,50 x 15,50 cm.
Maison, oiseau. 10,50 x 15,50 cm.
Char avec croix. 28 x 35,50 cm.
Char avec drapeau. 10,50 x 15,50 cm.
Merlin. 20,50 x 25,50 cm.
John Lee. 20,50 x 25,50 cm.
Femme avec deux enfants. 10,50 x 15,50 cm.
United in Christ. 10,50 x 15,50 cm.

— 3 dessins sur papier, non datés :
Une Indienne. 35,50 x 28 cm.
Un hibou. 28,50 x 23,50 cm.
Un guépard. 19,80 x 11,50 cm.
Holy Bible, new international version. 15,50 x 11 x 2,50 cm.
Cœur en fil barbelé. Non daté. 22 x 23 cm.
Pochette de disque (The Kinks). 31,50 x 63 cm.
— Sticker « This Is My Universe » et une photographie de G. W. Bush. 20,50 x 25,50 cm.
Veterans’Day ; Parade, Nevada, La Fin de l’Empire. DVD couleur, sonore. 14’10 ‘’.
— Catalogue (+ CD) : Jeremy Deller, After The Gold Rush, San Francisco (Californie, USA), Éditions CCAC, 2002.

Bureau
Sans titre, 2001. Série de six Cibachromes. 20 x 30 cm chacun.

L’artiste a conçu l’exposition en cinq parties (salle principale) : Autocollants (« Bumper Stickers ») ; Art folklorique ; Les Prisons ; « The Kinks are The Village Green Preservation Society » ; Nevada.

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