ART | CRITIQUE

Jennifer Allora, Guillermo Calzadilla

PN H
@15 Oct 2010

Les cinq œuvres de Jennifer Allora et de Guillermo Calzadilla sont autant de métaphores placées explicitement sous le signe de la préoccupation écologique. Convenue dans ses formes, quelconque dans son propos, cette exposition illustre un nouvel académisme de l’art contemporain.

A l’entrée de la galerie, The Camel’s Humps and the Ironing Board, sans doute la plus inattendue des Å“uvres présentées — et la plus réussie —, associe une table à repasser aux bosses empaillées d’un chameau. On pense à la formule de Lautréamont, érigée au rang de slogan par les surréalistes: «Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie». Mais la méthode surréaliste de l’association libre fait place ici à une métaphore dirigée: la table à repasser est sans aucun doute une menace pour le «pli» dorsal de l’animal, une sorte de lit de Procuste ajustant la féconde variété de la nature aux désirs mortifères de l’homme.

Plus massive, la sculpture Scale of Justice Carried by Shore Foam imite dans une mousse artificielle le déferlement de la vague; sur le sommet de l’écume figée se dresse une balance, dans un équilibre précaire. On comprend l’idée sans peine: le vacillement de la justice humaine face au déchaînement des forces naturelles…

Derrière, et dans des dimensions plus modestes, une photographie fixe l’envol d’un filet de pêche au-dessus d’un cours d’eau aux rives verdoyantes. Image de l’instinct de prédation de l’homme ou, plus subtilement, confrontation de l’harmonieuse dissymétrie naturelle et de la grille, interprétative ou oppressive, que l’homme applique à son environnement. Cette opposition de la ligne et de la courbe, du géométrique et du foisonnant est d’ailleurs récurrente dans l’exposition, manière d’illustrer un peu lourdement le conflit du naturel et de l’artificiel.

Enfin, deux pièces annexes sont consacrées l’une à une pompe à essence en quelque sorte fossilisée, l’autre à une vidéo évoquant l’après-Katrina à la Nouvelle-Orléans. Petrified Petrol Pump oppose, toujours dans le même esprit, l’organicité d’un calcaire impur à la froide rectitude de la machine: mais cette fois, la nature tient sa revanche et traite le mal par le mal, le fossile par le fossile, le pétrole par le temps.

La vidéo A Man Screaming is Not a Dancing Bear revient quant à elle sur le thème de la catastrophe naturelle: un homme noir, de dos, filmé à travers une fenêtre, joue sur son store un rythme aux accents jazz. Ses coups de baguettes permettent d’éclairer furtivement l’intérieur de sa maison, où les traces du passage de l’ouragan sont encore visibles.

Ces œuvres ne manquent donc pas d’ingéniosité, ni même d’une certaine force visuelle, mais elles agacent par leur facilité, dont l’usage constant de la métaphore est symptomatique. Ce procédé est d’ailleurs, au-delà de cette seule exposition, omniprésent dans l’art contemporain. A une époque frappée par la relativité des discours et l’épuisement des images, la métaphore est une cheville utile, le moyen de s’offrir à peu de frais du fond et de la forme.

En illustrant avec un tant soit peu d’inventivité un propos dans l’air du temps, une de ces fameuses questions de société, l’artiste obtient le beurre et l’argent du beurre: un message et un spectacle, le poids des idées et le choc des images — le tout sans avoir l’air de trop y toucher, avec une distance qui peut passer aisément pour de la subtilité, contre le méchant didactisme d’un art militant aujourd’hui ringardisé.
D’où la persistance de l’héritage surréaliste, cet «emploi déréglé et passionnel du stupéfiant Image» (Aragon); désormais banalisée et convenue, l’image-métaphore n’est plus un stupéfiant qu’en tant qu’elle prolonge indéfiniment l’hébétude de la pensée. L’exposition «La subversion des images» au Centre Pompidou en 2009 avait d’ailleurs le mérite de se terminer sur l’apport du surréalisme tardif au monde de la publicité et à la science de l’affiche «chic et choc»…

Le problème n’est donc pas tant la métaphore en soi que son usage strictement rhétorique: lorsqu’au lieu de révéler, elle traduit platement. Et quand le propos est aussi pauvre: l’injustice de la catastrophe naturelle, la menace d’une fossilisation généralisée du monde humain, ou encore le jazz de fortune dans une Nouvelle-Orléans en ruines. La métaphore n’est plus qu’une manière plaisante de réactualiser autant de poncifs abrutissants, le tout masqué sous un écologisme de bon ton. Ce ne sont plus des métaphores, ce sont des allégories — ce que Diderot appelait «la ressource des esprits stériles».

— Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, The Camel’s Humps and the Ironing Board, 2010. Bosses de chameau empaillées, planche à repasser. 157 x 43 x 150 cm.
— Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, Scale of Justice Carried by Shore Foam, 2010. Polystyrène, mousse polymère synthétique. 380 x 520 x 290 cm.
— Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, Forecast, 2010. C-print monté sur aluminium. 70 x 105 cm.
— Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, Petrified Petrol Pump, 2010. Calcaire riche en fossiles. 210 x 250 x 180 cm.
— Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, A Man Screaming is Not a Dancing Bear, 2008. Vidéo couleur et son, film 16 mm transféré sur Blu-ray. 11 minutes.

Lire:
« L’Archaïsme de l’art contemporain. La tendance allégorique de l’art contemporain » dans la rubrique « Divagations » du site internet paris-art.com, par Sarah Ihler-Meyer le 15 décembre 2009.

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