ART | INTERVIEW

Jeff Koons

PPierre-Évariste Douaire
@21 Avr 2011

Jeff Koons expose sept sculptures de la série Popeye à la galerie Jérôme de Noirmont. Dans son dernier roman La carte et le territoire, Michel Houellebecq comparait l’artiste à un «vendeur de décapotables Chevrolet». Bien que l’héritier de Warhol n’ait aucune raison d’assurer le service après-vente, il répond à nos questions, gentil, aimable et souriant.

Traduction de l’anglais par Betty Dhamers

Pierre Douaire. Savez-vous que vous êtes un des personnages du nouveau roman de Michel Houellebecq, La Carte et le territoire?
Jeff Koons. Vous me l’apprenez. J’ai toujours apprécié parler de mon travail. Auparavant, j’étais trader, c’est ainsi que je finançais mon travail artistique. Je ne voudrais pas que l’on me colle une quelconque image. Je me considère comme un artiste poétique. Méfions-nous des étiquettes.

Pourquoi appeler cette série de sculptures Popeye?
Jeff Koons. Je l’aime beaucoup car Popeye répète sans cesse «I am what I am», je suis ce que je suis. Il accepte de s’assumer, d’être ce qu’il est. C’est très important à mes yeux. Il ne compte que sur lui. Il traverse la vie sans qu’elle ne lui retombe dessus. Il ouvre des boîtes de conserve également… Peut-être que les épinards lui permettent de se transcender? C’est également le but de toutes œuvres d’art. Les épinards et l’art permettent au corps et à l’esprit de s’ouvrir.

Pourquoi vos sculptures métalliques imitent-elles des structures gonflables?
Jeff Koons. J’ai toujours apprécié retourner les matières. J’aime jouer à inverser le dedans et le dehors. Cela m’intéresse beaucoup. La série Popeye date de 2003, elle compte vingt-et- une sculptures. Lors de sa présentation à la galerie Sonnabend de New York, certaines pièces n’étaient pas terminées. Chaque personne possède une densité, un destin, une intériorité. Autour, il n’y a que de l’air. Cette série fonctionne sur un principe inverse. Chaque sculpture n’est construite que sur du vide.

Vos personnages sont ludiques.
Jeff Koons. Les personnages peuvent sembler ludiques mais vos bouées ont une réelle utilité dans une piscine. Elles peuvent sauver des vies. L’aspect des personnages peut aussi évoquer un Calder ou un Miro. Ils entretiennent une relation avec l’histoire du modernisme, mais ce n’est pas l’essentiel. Je tente toujours de réaliser des liens entre les œuvres du passé et notre histoire contemporaine. Le but est d’arriver à courber le temps et à le manipuler.
Je pense que la vraie histoire, la réelle narration, passe par le dialogue entre le féminin et le masculin. Ce couple me fascine car il est à l’origine de beaucoup de récits. Utiliser des archétypes permet de révéler cette profondeur tapie en chacun d’entre nous. Les touillettes pour mélanger le sucre dans le café symbolisent bien cette union du masculin et du féminin.
Ce couple accouche toujours d’histoires extraordinaires. Mais l’une des plus belles qu’elle nous raconte est contenue dans notre code génétique. La biologie révèle notre éthique profondément.

Il y a un aspect alchimique dans votre travail.
Jeff Koons. Le rôle d’un artiste est d’arriver à créer des liens. La fusion de deux éléments pour en donner un troisième me semble beaucoup plus fort que si les trois se présentaient à nous séparément. C’est comme cela qu’il faut comprendre la toile de fond de la série Popeye.

Dogpool (Panties) parle beaucoup du féminin-masculin.
Jeff Koons. Dogpool (Panties) est une piscine gonflable tout simplement. Il y a encore l’idée du masculin, l’élément phallique est représenté par la petite queue du dalmatien. A l’opposé, la forme principale est ronde. Elle est complètement dédiée aux courbes féminines. Ce sont des jambes de femmes qui tendent le string. C’est une référence à Duchamp, quand il fait tomber un lacet dans une boîte. Ma photo a des coins bizarres, comme chez Duchamp. Ces coupures bizarres sont les coups de ciseau que j’ai faits dans les magazines. La piscine est inclinée à 10° et la photo à 90°. Confronter le masculin et le féminin est acte de communication. Nos archétypes ne sont pas uniquement sexuels, ils embrassent d’autres domaines, ils s’immiscent jusque dans la moelle de notre patrimoine génétique. Cette explication vient après coup pour vous dire la vérité. J’ai fait en sorte que cette piscine soit très ouverte, étant autant féminine que masculine.

Quel souvenir gardez-vous de votre exposition au château de Versailles?
Jeff Koons. L’expérience que j’en retire est surtout humaine. Ce qui compte à la fin de la journée, ce sont les liens sociaux que vous avez tissés. Mais pour aller vers les autres, il faut d’abord se connaître et s’accepter soi-même. Une fois que l’on sait qui on est, on peut se pencher vers l’extérieur. Le travail pour un artiste consiste à partir de sa subjectivé et à créer des objets qui parlent au plus grand nombre. Les ready-made que j’emploie sont des métaphores qui parlent de moi et du monde. Des allusions sexuelles peuvent transpirer d’un tel travail et c’est tant mieux si cela permet d’arriver à accepter les différences de l’autre. L’objectif ultime de l’art, c’est d’accepter les autres.

Quelle a été précisément votre approche avec le château de Versailles?
Jeff Koons. Je me suis retrouvé dans un rêve. Je me suis cru au temps de Louis XIV. J’avais l’impression de répondre à une commande du roi Soleil. Ce phantasme s’est réalisé. Ce fut vraiment merveilleux. Cette expérience a vraiment été très importante pour moi. Je me souviens de l’installation de Blue Moon dans la Galerie des Glaces. C’était extraordinaire! La scène se passait la nuit. Une grue avait été nécessaire. Son bras traversait les grandes portes-fenêtres. Cet événement était céleste par bien des aspects. L’obscurité ajoutait à l’ensemble du tableau un charme intemporel.
Cette expérience m’a appris à m’ouvrir davantage. J’ai copié l’état d’esprit des artistes qui travaillaient au château à l’époque. Ils m’ont ouvert les yeux. Je tente d’être comme eux et de regarder le monde sans barrières ni préjugés. J’apprends de cet événement à donner encore plus de sens à ce que je fais.

Blue Moon est un miroir, comme Olive Oyl (Red) prédenté dans l’actuelle exposition «Popeye». Quelle place ce matériau a-t-il chez vous?
Jeff Koons. Un miroir vous permet de prendre conscience de votre présence. Il donne des indications sur la façon dont on bouge, dont on se maintient. Il fournit des informations sur notre existence. Il reflète et conserve différents moments. Il est capable de mesurer le temps. Il oblige chaque personne à réfléchir sur cette notion. Il reflète le présent mais garde en lui les traces des moments passés. Il accumule toute cette histoire qui passe devant lui. Comme une œuvre d’art, il est capable de transmettre au spectateur un message. Ce qui se passe sur sa surface est moins important que ce qui se passe à l’intérieur de celui qui regarde. L’expérience artistique ne peut s’opérer qu’à l’intérieur de nous. Regarder l’art permet de grandir.

Quels autres matériaux utilisez-vous?
Jeff Koons. J’utilise du marbre, de l’inox, de l’acier inoxydable. Le matériau est très important dans ma pratique. L’artiste doit avoir une intuition quand il le choisit. Intuitivement, il doit comprendre la matière qu’il utilise au départ. Il faut échanger avec lui, lui parler, l’écouter, trouver la taille, la dimension, la forme qui convient le mieux, afin de trouver la véritable ampleur. Toutefois, il est possible de créer sans avoir de matériau sous la main et de réussir quand-même une œuvre d’art.

Existe-t-il des messages secrets dans vos Å“uvres?
Jeff Koons. Non, j’aime bien les messages clairs et très directs. Même s’il existe différentes significations, je n’exige aucun effort de la part du spectateur. On peut trouver que la structure gonflable est bien ou juste en aimer la couleur. Il existe différentes lectures. Les interprétations différentes sont possibles, comme le masculin et le féminin. Rien n’est obligatoire.

Derrière cette immédiateté, placez-vous des messages en filigrane?
Jeff Koons. Mon message est le suivant: la transcendance peut entrer dans la vie de chacun. L’art est un véhicule qui peut changer notre conception de la vie. Je suis le premier à vivre ces changements. Le spectateur ne trouvera dans mes œuvres que le reflet de sa propre image. Une pièce ne peut que refléter nos propres possibilités.

Laurent Le Bon, le commissaire des expositions au château de Versailles, expliquait à la conférence de presse de Murakami que la pièce la plus sexuelle et la plus subversive était le pot de fleurs installé dans la chambre de Marie-Antoinette. Qu’en est-il vraiment?
Jeff Koons. Le vase, les fleurs, c’est la nature. J’aime bien les fleurs. Elles symbolisent la fertilité. Elles font partie du monde. Peu importe si la plante est encore dans la terre ou si elle est coupée, domestiquée ou non, j’aime les deux cas de figure. Made in Heaven parle de l’acceptation. La référence est culturelle. C’est une association entre l’intérieur et l’intimité. Cette sculpture est faite en porcelaine, la même que l’on trouve chez votre grand-mère. Elle est d’une grande banalité. L’acceptation dont je vous parle, depuis le début de notre conversation, passe ici par la somatisation. L’acceptation de notre sexualité passe d’abord par le corps. Il faut commencer par accepter son corps pour s’accepter soi et ensuite les autres. Si vous voyez une référence sexuelle cachée dans cette pièce, je peux vous dire que vous allez trouver des choses plus choquantes à la télévision.

Peut-on voir des allusions sexuelles dans votre production?
Jeff Koons. Je suis très fier d’être artiste et encore plus de pouvoir communiquer avec les gens. Je tente d’être le meilleur possible dans ce domaine. Je tente de toucher le public le plus vaste possible. C’est une très grande responsabilité. Notre vie est imprégnée de sexualité. Ma dernière fille, Scarlett, en est la démonstration. Elle est bien le fruit de ma sexualité. C’est le seul moyen d’y arriver. Accepter sa sexualité permet de s’ouvrir sur les autres et le monde. Il devient possible de se rapprocher à l’humanité, cela nous lie avec ceux qui nous ont précédés et ceux qui nous survivront.

Vous avez été à la fois trader et artiste. Ces deux emplois étaient-ils conciliables?
Jeff Koons. Je vais vous raconter une anecdote. Plus jeune, je faisais du porte-à-porte pour gagner de l’argent et être indépendant, mais j’ai finalement compris que ce que j’aimais le plus c’était de rencontrer continuellement des gens nouveaux. Quand vous entrez chez un particulier, vous ne savez pas sur qui vous allez tomber. Cette formation m’a conduit à accepter les autres tels qu’ils sont, et à éviter les préjugés. Le porte-à -porte m’a conduit autant du côté du marché que de l’art. Toute relation marchande implique une interaction avec les gens.

Mais l’art?
Jeff Koons. Je ne pensais qu’à mon art. Quand j’ai cessé mon activité en bourse, la vente de mes œuvres était à peine capable de financer la production de nouvelles pièces. Je ne dégageais pas encore de bénéfices. Cela me permettait juste de poursuivre mon travail. Pour continuer ma vocation, j’aurais été capable de prendre n’importe quel autre job. Etre pompiste et continuer ma carrière ne m’aurait posé aucun problème. Mon expérience de trader a duré cinq ans. A un moment donné, il n’est plus possible de concilier deux activités si différentes.

Etes-vous marqué par votre enfance?
Jeff Koons. Mon père était décorateur, c’est avec lui que j’ai appris l’esthétique. Mon beau-père était un homme politique. Il travaillait pour la mairie de New York, en Pennsylvanie. Cette combinaison entre l’esthétique et la politique m’a donné une idée de la façon dont les choses se combinaient dans le monde. Ma famille m’a toujours soutenu. Peu importent mes intérêts ou mon anxiété. Je ne me vois pas comme quelqu’un d’anxieux, mais je me rappelle de l’importance d’avoir été accepté par ma famille, de n’être pas être jugé, comme c’est le cas à l’école, car cela peut avoir des conséquences redoutables. Petit, j’adorais les couleurs. S’allonger dans l’herbe me permettait de voir le vert de la pelouse, le ciel me donnait des envies de bleu. J’adorais manger les biscuits de la voisine. Ce monde était sans jugements. Cet environnement protégé m’a permis de m’ouvrir aux mondes et aux autres. Depuis, je regarde les choses avec cette liberté.

A partir de quel âge, avez-vous abordé l’art?
Jeff Koons. J’ai toujours été un artiste, même enfant. J’ai des souvenirs dans mon berceau. Je me rappelle exactement comment était ma chambre. Je bricolais sans cesse avec mes copains au centre aéré du coin. Mes parents m’ont toujours soutenu dans mon activité artistique. Sans m’encourager, j’ai vu dans leurs yeux que je pouvais y arriver. J’ai toujours pensé que ma grande sœur était meilleure que moi. Elle me semblait plus intelligente, elle parlait mieux que moi.

Votre parcours artistique a-t-il été un tuteur dans votre vie?
Jeff Koons. L’art m’a permis de me construire. J’ai pu me fabriquer une image qui me corresponde. C’est le dessin où j’excellais qui m’a permis de comprendre quelle place je pouvais prendre au sein de ma famille et ensuite dans la société. Tous les week-ends, à partir de sept ans, j’ai suivi des cours de dessin. Je reproduisais des fleurs, des granges,… D’une certaine façon, j’ai fini par faire la seule chose que je savais bien faire. Ce n’est qu’au moment d’entrer en école d’art que je m’en suis aperçu. Je ne m’étais préparé à rien d’autre, pendant mes années de formation au lycée. C’est Manet qui a été le révélateur de mon avenir. Même aujourd’hui, il reste très important. C’est en classe que mon professeur m’a fait comprendre ce qu’allait devenir ma vie. Il m’a expliqué que la peinture de Manet unifiait les choses. J’ai su à cette seconde que l’art était une activité qui permettait d’associer des choses aussi différentes que complexes. L’art pouvait englober autant la philosophie que l’émotion. Voilà, c’est Manet qui m’a tout appris.

Que collectionnez-vous?
Jeff Koons. C’est très varié, très large. J’aime les œuvres fortes. Celles que j’apprécie doivent vibrer et transmettre une émotion qui ne soit pas uniquement cérébrale mais d’abord physique. Je collectionne des œuvres qui me procurent ce genre de sensations. J’ai quelques sculptures antiques de Vénus, une copie de Praxitèle du IIè siècle.

Allez-vous à la Biennale des antiquaires?
Jeff Koons. Tous les ans. J’apprécie beaucoup cet endroit, c’est très spécial, j’aime y passer quand je suis à Paris. J’espère y aller cette après-midi. Voir les peintures des vieux maîtres, c’est intéressant. J’adore aussi le Grand Palais.

Etes-vous sensible à la crise financière?
Jeff Koons. La crise économique est mondiale. Tout le monde est touché. L’art a toujours reflété les préoccupations du moment. Un grand artiste parvient toujours à s’en inspirer et à les transcender. Au XVIIè siècle, le Bernin n’est pas l’exécutant du pape. Il ne se soumet pas à ce généreux mécène qui modernise Rome. Il porte son attention sur des sujets précis et dépasse la simple commande, en proposant des œuvres qui dialoguent avec la nature, l’intérieur et l’extérieur.

Que pensez-vous du marché?
Jeff Koons. Le marché, au même titre qu’une collection, n’a de prix que celui que l’on veut bien lui donner. J’ai appris très tôt qu’en étant le numéro un dans un secteur, et qu’en acceptant cette charge, les gens vous aident et vous soutiennent. Ils vous remercient d’être là et vous supportent car ce n’est pas une place facile.

Que pensez-vous de la critique?
Jeff Koons. L’art a ce pouvoir de relier les gens les uns aux autres. L’art connecte l’humanité et permet tous les dialogues, des plus superficiels aux plus profonds. Il permet d’aborder la question de la mort. Il permet d’accepter l’autre. Grâce à cela, la peur de l’autre disparaît. Moi-même, je suis dans ce schéma que décrit le mythe de la Caverne chez Platon. Accéder à la lumière, c’est accepter l’autre. Après ce travail, le monde extérieur devient simple. Une grande liberté vous gagne une fois que cette anxiété se dissipe.

Votre force, c’est le public?
Jeff Koons. Ma récompense artistique vient du public et de mon propre développement intérieur. Si j’arrive à ouvrir ma palette, à élargir mon périmètre de compétence, le pari est réussi. C’est uniquement en s’ouvrant au regardeur que l’on y parvient.

Comment faire pour rester tout en haut?
Jeff Koons. Un artiste fait partie d’un système qui change continuellement. Suivant les cas, il est soutenu par l’Etat ou le marché. Si on accepte les règles du jeu, il faut en assumer les conséquences. Si je décide de devenir un acteur de ce monde, je dois y engager toute mon énergie. Accepter d’être le leader entraîne un certain nombre d’obligations. Plus jeune, mes amis n’exposaient pas car ils s’inventaient des problèmes. Contrairement à eux, j’ai toujours voulu montrer mon travail, le présenter à un large public. Je voulais appartenir au milieu artistique pour côtoyer Warhol ou Dali. Dialoguer avec les gens est très important dans ma démarche. J’aime l’art et je tente de partager avec les spectateurs ce qu’ils m’ont donné.

Dali est un exemple pour vous?
Jeff Koons. J’ai souvent entendu dire que Dali s’habillait tous les jours comme s’il s’agissait de l’événement le plus important de toute sa vie. C’est une règle de conduite merveilleuse. Et, en effet, lorsque j’ai eu la chance de le rencontrer, il était très élégant. C’est une manière fabuleuse d’embrasser la vie. Il était très généreux et c’est naturellement qu’il a reçu le jeune artiste de dix-sept ans que j’étais. Au téléphone, il a accepté de me recevoir immédiatement alors que je débarquais de ma Pennsylvanie natale. Notre échange a été plutôt banal, bien que courtois, mais j’ai eu la chance de le rencontrer et de lui parler. Il m’a invité à voir son expo. Il a accepté que je le prenne en photo devant The Royal Tiger. Il a posé en frisant ses moustaches, il m’a demandé de me dépêcher, car il n’allait pas faire le pitre plus longtemps. Maintenant, tous les soirs, dans ma chambre, je regarde deux des études de ce tableau qui m’appartiennent. Je pense à lui tous les jours.

Comment vient l’inspiration?
Jeff Koons. J’essaie d’être toujours ouvert sur mon environnement. Aujourd’hui, beaucoup de personnes travaillent pour moi. Peu importent mes propres goûts. Avant tout, je cherche. J’ai beaucoup d’intérêts, j’essaie d’approfondir, que ça m’apporte le plus possible. Si je regarde certaines sculptures chinoises, mes assistants vont poursuivre la recherche. En arrivant à l’atelier, ils me présentent leurs trouvailles. Un autre va trouver des compléments sur d’autres sculptures d’Asie du Sud, etc.

Comment rester soi-même quand on travaille avec beaucoup d’assistants?
Jeff Koons. J’adore travailler avec du monde. Je considère mon équipe, composée de quarante personnes, comme une communauté. J’aime envisager notre collaboration sous cet angle. Je prends soin d’eux et eux me soutiennent. Notre intérêt et nos passions nous rapprochent. Je prends beaucoup de plaisir à travailler et j’aime être entouré. Néanmoins, chaque réalisation se fait sous mon autorité et mes indications. Mes directives sont précises et détaillées. J’approuve chaque détail, aussi infime soit-il, avant qu’il ne soit réalisé. Personne ne peut faire ce qu’il veut. Chacun sait ce que j’attends. Mes collaborateurs me connaissent bien, ils travaillent pour moi depuis dix à vingt ans. Ma responsabilité consiste à être le plus clair possible. Je dois les aiguiller et les guider de la meilleure manière qui soit.

Vous considérez-vous comme l’héritier des ateliers de la Renaissance ou comme le chef d’une entreprise?
Jeff Koons. Avant de vous répondre, j’aimerais préciser que je respecte énormément les gens qui travaillent pour moi en tant qu’individus. Mais dans l’atelier ce qui prime, c’est ma vision. Ils sont là pour faire mon travail. Tout le monde pense que j’ai une grande usine et que beaucoup de personnes travaillent pour moi, alors qu’en réalité je ne produis que dix sculptures et dix tableaux par an. Les sculptures sont éditées à trois exemplaires plus un tirage d’artiste. Ma production est très limitée, comme vous pouvez le constater. Mes idées accouchent en dehors de l’atelier. Elles sont réalisées grâce à différentes entreprises. Plus que le «Boss», je dirais que je suis au centre d’une interaction humaine. Je me considère comme un artiste poétique.

Vous avez réalisé une «Art Car» pour BMW lors des dernières 24 heures du Mans. Parlez-nous de cette aventure.
Jeff Koons. J’étais très fier qu’elle soit présentée à Beaubourg une semaine avant le départ. En m’intéressant à l’histoire du circuit, j’ai étudié comment la vitesse était représentée. J’ai combiné des images d’explosion solaire, de franchissement du mur du son, de déplacement d’énergie pour designer la voiture. J’ai été très surpris qu’elle ne gagne pas la course. J’ai su que les gens d’Audi étaient jaloux du succès qu’elle a remporté. Tout le public parlait d’elle, mais ça n’a pas suffi pour qu’elle remporte le trophée.

Quels sont vos projets?
Jeff Koons. Je suis très occupé actuellement sur Antiquité qui rassemblera toutes les œuvres de l’histoire de l’art de Praxitèle, Pellas jusqu’à Manet. C’est un travail qui veut réunir et unifier cette histoire. Je travaille aussi sur des Ballerines qui viennent de Dresde. Elles devraient soulever leurs jupes. Aphrodite ne sera pas loin. La déesse de l’amour célébrera la fertilité des fleurs plantées dans des pots en marbre. Je vais revenir sur de vrais choses, sur le végétal et le vivant. Cela permet de s’occuper du temps. Cela donne l’impression de le maîtriser et de se laisser posséder par lui. Il est impossible de contrôler la nature, l’éphémère.

Chaque nouvelle sculpture est-elle un défi?
Jeff Koons. C’est toujours un challenge de sculpter de nouvelles pièces. Je prépare actuellement Train, une œuvre monumentale qui devrait voir le jour dans quatre à cinq ans. C’est une sculpture publique pour la ville de Los Angeles. Elle sera placée sur une petite place en face du MoCa (Museum of Contempory Art). Deux fois par jour, Train s’animera et se mettra à cracher de la fumée. Il sera suspendu à dix mètres de haut à l’aide d’une grue.

C’est un chantier gigantesque!
Jeff Koons. Train fera trente mètres de long. La performance durera trente minutes à chaque fois. Le bruit de la vapeur et des roues sera impressionnant. Les cloches, le sifflet donneront lieu à un concert de klaxons fantastique. La cadence s’accélérera progressivement. C’est ce moment que je veux capter: quand tout s’emballe. Vous l’avez compris, il s’agit encore ici d’une métaphore pour parler de l’individu. Si l’on mettait tous ces bruits côte-à-côte, on obtiendrait une courbe de Gauss, un relevé en cloche avec un début et une fin et au milieu le paroxysme de l’action en train de se faire. Cette dramaturgie me semble essentielle à conserver car, sans cette narration, les parents resteraient une seconde devant et s’en iraient. Voir et entendre la locomotive s’emballer et tousser sa fumée permet d’impliquer davantage le public.

La vitesse doit rythmer l’action.
Jeff Koons. Il faut que la vitesse soit ressentie comme de la musique. Le cœur de chacun doit se caler sur la vitesse et les 150km/h de la motrice et de son panache de fumée. Le final doit aboutir à un râle orgasmique. Ensuite, la décélération est progressive. Le show se fera à l’ouverture et à la fermeture du musée, à midi et le soir. Je compte également réaliser une rétrospective en Californie dans les trois ans à venir. J’aimerais qu’elle voyage et qu’elle puisse venir en Europe.

En avez-vous parlé à Alain Seban, le président de Beaubourg?
Jeff Koons. Je ne peux pas trop en parler mais je serais ravi, si je pouvais montrer la rétrospective dans votre pays.

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