PHOTO | CRITIQUE

Jean-Luc Moulène

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Objets et corps mis à nu repliés sur leur forme propre : Jean-Luc Moulène possède l’art de désamorcer les habitudes perceptives, de déstabiliser le regard. Du non visible surgit, qui était pourtant bel et bien inscrit dans le visible.

Figure/fond, pour Jean-Luc Moulène le rapport est éminemment politique. Prenant acte de la disparition d’un « fond social établi », le travail de l’artiste revient à poser des figures sur une « géométrie [désormais] fluide ». Et celles que pose Jean-Luc Moulène sont souvent disjonctives. Par coupes longitudinales dans le réel, elles convoquent, dans le plan-surface des photographies, signes et codes hétérogènes, qui déstabilisent le regard, et rendent perceptible une complexité insoupçonnée dans les gestes et scènes les plus banals. Les objets, dont l’exposition du Jeu de Paume présente un large échantillon, saisis sur le mode des packshots publicitaires — fond neutre, lumière homogène, hors contexte —, sont dépouillés de leur carcan visuel stéréotypé. Mis à nu, ils se replient sur leur forme propre.
Forme instrumentalisée — une boîte de désinfectant pour fosse septique tient un discours bavard et volubile de bonimenteur (Eparcyl) —, ou formes naturelles — un squelette de créature paléontologique s’invente dans des rognures d’ongles alignées (Ongles) —, Jean-Luc Moulène possède l’art de désamorcer les habitudes perceptives. Du non visible surgit, qui était pourtant bel et bien inscrit dans le visible.

Avec les filles d’Amsterdam, pièce centrale de l’exposition, Jean-Luc Moulène propose une expérience singulièrement dérangeante. Cette fois, c’est du corps qu’il s’agit. De ce corps habituellement morcelé et fonctionnalisé : tour à tour, érotisé, médicalisé, marchandisé. Lisse et parfait, ou souffrant et défait. Corps public, ou corps privé. Surface de l’apparence, ou profondeur de l’intime. Les genres, usages et formes photographiques modèlent ces modes exclusifs de représentation et de perception.

En demandant à des filles publiques de poser nues, de face, jambes écartées, dans une posture tout animale qui fait se rassembler le corps sur lui-même, de telle sorte que sexe et visage sont dans le même plan, l’artiste réunit la tradition du portrait et l’obscénité du porno sur la surface glacée de la photographie.
Treize filles, pâles sur fond rouge, écrin et lupanar, cernent le spectateur, de leur regard et de leur sexe nu, en un panoptique renversé. Professionnelles du sexe, elles font encore bonne figure, alors que le spectateur, dont le regard diverge, est mis à l’épreuve d’une déstabilisation violente, mis en demeure qu’il est d’inventer un nouveau regard pour embrasser l’inconciliable.

Jean-Luc Moulène
— Main (Paris), 1984. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Nuquirit avec Jeanne Balibar (Paris), 14 février 2004. Cibachrome sur aluminium.
— 4 août 1996 (Berlin), 1996. Cibachrome sur aluminium.
— A.H., Vincent Labaume et Jean-Luc Moulène (Paris), 17 novembre 2004. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Le Masque Laurence Lorenzi et Jean-Luc Moulène (Paris), 1984. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Eparcyl (Fénautrigues), 20 septembre 2001. Cibachrome sur aluminium.
— Main rouge, (Paris), 27 novembre 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Le Sphinx, Julia Cima, Boris Charmatz et Jean-Luc Moulène (Paris), 26 novembre 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Standard (Fénautrigues), 18 septembre 2001. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Snow Girl (Amsterdam), 4 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Jane (Amsterdam), 2 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Patris (Amsterdam), 3 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Fleur (Amsterdam), 7 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Sorana (Amsterdam), 18 mars 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Monika (Amsterdam),3 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Roxana (Amsterdam), 17 mars 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Kim (Amsterdam), 8 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Noaska (Amsterdam), 19 mars 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Laura (Amsterdam), 2 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Ramona (Amsterdam), 4 avril 2004. Cibachrome sur aluminium.
— BiFixe (Paris), 7 septembre 2003. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Liquide & Oil (Paris), 29 janvier 2003. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Le Doigt de cœur (Valparaiso), 21 juillet 2002. Cibachrome sur aluminium.
— Viande (Donastia), 11 janvier 2000, 2003. Cibachrome sur aluminium.
— Estafette (Paris), 19 octobre 2000. Cibachrome sur aluminium.
— Limace (Paris), 22 mai 2003. Cibachrome sur aluminium.
— Chewing Gum (Paris), 22 avril 2003. Cibachrome sur aluminium.
— + d’ordre – d’ordre (Paris), 1994-2005. Vidéo. 26 min.
— Petits os (Yokahoma), 24 novembre 2000. Cibachrome sur aluminium.
— Ongles (Paris), 5 novembre 1999. Cibachrome sur aluminium.
— Méduses (São Paulo), 7 avril 2002. Cibachrome sur aluminium.
— Pain mouillé (Paris), 26 novembre 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Ciels 1, août 1989. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Ciels 2, août 1989. Bromure noir et blanc sur aluminium.
— Griffes (Paris), 3 août 2002. Cibachrome sur aluminium.
— Rose (Paris), 3 août 2002. Cibachrome sur aluminium.
— Sable sur la tête, 18 juillet 2004. Cibachrome sur aluminium.
— Clous (Paris), 21 décembre 2003. Cibachrome sur aluminium.
— Gris (Kitakyushu), 10 octobre 2004. Cibachrome sur aluminium.
— La Mer (Le Conquet), 19 août 2003. Bromure noir et blanc sur aluminium.

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