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Jean-Luc Moulène

Jean-Luc Moulène utilise, pour ses photographies, les codes de représentation propre à un genre (publicité, portrait, nu…). Ces clichés jouent sur le double sens de leur titre et de ce qu’ils représentent. Ils forcent à s’interroger sur la signification des images.

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Extraits

Interroger
par Geneviève Clancy

Interroger est peut-être le mode d’approche de l’incernable qui a échappé le mieux aux écueils de l’analyse, qui soit le plus approprié à l’ouverture sur la méditation. La photo comme énigme du figuré est un temps topique, sujet de l’interrogation sur ce qui est là.

L’œuvre de Jean-Luc Moulène est troublante dans sa force à disposer des présents qui ouvrent à leurs ombres dans cette immortelle tiédeur de l’effacé.

La photo est-elle traversière, miroir ou reflet ? Est-elle espace-otage ou espace-capture ? Qui régit l’ordre ou le désordre qu’elle encadre ? Par où est entré le temps sans issue possible ? Sa lumière monte-t-elle de fonds imparus ? Le temps immobile du geste a-t-il un devenir invisible ? Est-ce un abîme de monde entre ses instants ou une apparition entre les écarts ?

Tout se passe comme si d’un point de vue proche de l’animisme, certaines photos prélevaient ou retenaient de l’âme. Cela pour suggérer les questions posées par ces représentations qui se transforment en seuils du monde qu’elles présentent. Qui garde la senteur, les bruits, la chaleur de ces moments de monde recouverts d’une immobilité où on les sent bouger ?… Comme s’ils allaient se détacher, quitter l’image et ne laisser que le dessin de leur empreinte.

Le mystère est dans le regard de celui qui réalisa la prise captant ce qui se passait en filigrane de l’instant. Le plan d’interrogation se déplace vers l’artiste, sa démarche : ce qu’il a photographié était-il vraiment là ou a-t-il été vu comme devant être là ? La chambre noire délivre-t-elle ce que l’objectif a visé ou le rêve construit de celui qui visa dans l’objectif ?

Ceci pour approcher le problème de la taille créatrice d’une photo. La taille artistique appartient non point à la composition spatiale qu’elle délivre mais à la conscience créative qui a projeté ce délivré. Il y a sans doute quelque chose qui s’apparente à la voyance. Voyant ce passage entre la conscience qui guette l’apparition et ce qui apparaît. Le couple conscience et outil photographique ne reproduit rien, ne prélève rien, il laisse venir les choses attendues parmi les choses données là. C’est ce qui dépose dans certaines images cette montée abrupte qui résonne comme le surgissement d’une présence.

(Publié avec l’aimable autorisation des Éditions Hazan)