ART | CRITIQUE

Jean-François Fourtou

PGéraldine Bloch
@12 Jan 2008

Escabeau, lit, table de cuisine, chaise percée… La nouvelle exposition de Jean-François Fourtou nous fait basculer dans un univers ludique et ambigu à la fois, où l’échelle monumentale des objets et la présence incongrue d’orangs-outans mettent à mal toute tentative d’interprétation ou de systématisation.

On connaissait Jean-François Fourtou pour son étrange bestiaire développé depuis plusieurs années. Vaches, oies et autres animaux de ferme sculptés ont ensuite laissé place à des troupeaux de dromadaires et de petits chiens… Peu à peu la photographie et la vidéo se sont également ajoutées, mettant d’ailleurs le plus souvent en scène les sculptures-animaux et les amis «humains» de l’artiste.

Dans sa nouvelle exposition, Fourtou élargit sa famille «sculptée». En entrant dans la galerie, le spectateur aperçoit la trompe tordue d’un éléphant dépassant du mur et qui semble lui indiquer le chemin à suivre, il se rendra vite compte qu’une trompe sans éléphant ça existe. Le silence est rythmé par le tic-tac implacable d’une horloge. Là, divers meubles en bois aux formats disproportionnés, dont l’énorme horloge renversée, se répartissent l’espace et forment une pièce d’habitation qui sert de cuisine, de salle de bain et de chambre en même temps, rappelant le monde rural.

Cette installation est une reprise de certaines pièces conçues pour une exposition sur le thème des «Géants », qui a eu lieu à Bruxelles en 2003. Fourtou parvient à créer d’emblée une atmosphère particulière. Bien qu’il n’y ait aucune présence humaine, on a l’impression de rentrer dans l’intimité d’une maison dont le propriétaire vient juste de sortir. L’horloge renversée, la cabane en tissu sous la table, dans laquelle on peut se lover, renvoient au monde du jeu et de l’enfance. La monumentalité des objets fait douter le spectateur. Est-il censé s’identifier à l’enfant, pour qui tout est trop grand et presque inaccessible dans un monde d’adultes ? S’agit-il de vrais géants comme dans les contes ? Fourtou esquisse un scénario ouvert, une fiction familière où chacun est libre de piocher en fonction de son propre affect.

Caché derrière le lit, un orang-outang très réaliste apparaît, qui semble s’être extrait des photographies accrochées aux murs de la galerie, peuplées de singes évoluant au milieu des hommes. Dans cette série d’images, Fourtou photographie des individus dans leurs environnements quotidiens : deux femmes dans leur salon, le patron et les clients d’un bar en Espagne, un ferrailleur dans son atelier.
Ailleurs, ce sont les bibliothèques de l’Institut de France, les réserves d’un musée d’histoire naturelle, un grand salon bourgeois, etc., où partout, des hordes d’orangs-outans s’amusent et cohabitent avec les hommes, comme des animaux familiers. La drôlerie réside dans le dépassement même de l’incongruité de ces situations, où le naturel des personnages domine.
Dans la salle de gauche de la galerie, un autre singe sculpté contemple les photographies à la manière des spectateurs. De cette confrontation entre l’animal-regardeur et l’animal photographié, émerge une certaine ironie que l’artiste s’adresse à lui-même. L’Homme des bois, l’Orang Hutan en malais semble d’ailleurs assez perplexe face à ces visions.

Jean-François Fourtou côtoie le merveilleux en cela qu’il donne à voir des situations impossibles, inexplicables, qui par le truchement de sa technique se mettent à exister dans la vie réelle. L’importance du souvenir dans son œuvre, sa tentative désespérée pour renouer avec des époques passées, se matérialise dans une forme d’anthropomorphisme qui rappelle celui des enfants.

Dans cette nouvelle mise en scène de ses œuvres, un imaginaire poétique émerge, teinté de nostalgie. Ces bêtes plus vraies que nature, ou ce mobilier de maison de poupées monumental nous rappellent nos jouets d’enfance. À une trentaine de mètres de là, on peut poursuivre le voyage en contemplant une superbe girafe au cou baissé, un des animaux fétiches de l’artiste, coincée dans le white cube qu’est la galerie Pièce unique.

Jean-François Fourtou
— Sans titre, (Madrid, Le Boucher), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Paris, Morphologie), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm
— Sans titre, (Paris, Garage 1), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Paris, Le Boucher), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Paris, Haussmann), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Paris, Institut), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Paris, Les Dromadaires), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.
— Sans titre, (Madrid, Les Logeuses), 2003. Épreuve chromogène. 125 x 155 cm.

Sculptures

— Sans titre, (Singe), 2003. Technique mixte. Dimensions différentes selon les singes.
— Trompe d’éléphant, 2003. Technique mixte. 25 x 130 x 20 cm.
— Girafe géante, 2003. Technique mixte.
— Lit, 2003. Bois, tissus, ouate. 180 x 405 x 205,5 cm.
— Table, 2003. Bois. 149 x 268 x 157 cm.
— Horloge, 2003. Bois, métal, verre + système son. 459 x 99,5 x 44,5cm.
— Chaise percée, 2003. Bois, céramique.
— Chaise osier à accoudoir, 2003. Bois, corde. 185,5 x 98 x 82 cm.
— Chaise renversée, 2003. Bois, corde. 168 x 76,5 x 75 cm.
— Chaise de bébé, 2003. Bois, corde. 160,5 x 59,5 x 60,5 cm.
— Porte manteau et ses tabliers, 2003. Bois, cuir, plastique. 328 x 90 x 25 cm.
— Balai, 2003. Bois, corde. 416 x 55 cm.
— Sandales, 2003. Cuir. 4,5 x 57 x 21 cm.
— Cabane de géant, 2003. Table, corde, tissu, édredons, éléments divers, projection vidéo.

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