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Jean-Claude Ruggirello

PKlaus Speidel
@12 Jan 2008

Une cassure est au cœur de l’exposition de cinq œuvres récentes de Jean-Claude Ruggirello. Paradoxe d’un art qui met en scène des objets familiers qui deviennent autre chose, mais sans cesser d’être ce qu’ils sont communément.

Toi nuage, passe devant! consiste en deux canoës pliés et montés sens dessus-dessous sur des trépieds. Inutilisables, sortis de leur élément, élevés en l’air, les canoës sont devenus des objets volants, des êtres ailés qui s’élèvent silencieusement.
Il s’agit peut-être d’un hommage joyeux et critique à Anselm Kiefer dont Melancholia (1989) montre un avion de chasse écrasé. L’avion paraît réel, mais vieilli, cassé et tombé. Il est en plomb. Le mouvement de Kiefer va vers le bas, celui de Ruggirello vers le haut. Loin d’être le constat de l’échec d’une culture, la cassure, l’hors usage, devient une condition d’élévation. C’est lorsqu’il n’est plus canoë que le canoë peut commencer à voler.

Les canoës restent canoës (cassés) avec des traces d’usage sur leur peau. Ils ont été repeints maintes fois avant que Ruggirello les récupère pour en finir avec leur existence de canoë et leur en donner une autre en les ré-assemblant différemment. Tandis que Kiefer imite et donne la forme d’un objet (un avion) à une matière (le plomb) Ruggirello prend un objet tout fait et le transforme en esquisse d’avion.

Avec ses canoës sous le toit, Ruggirello vise probablement moins haut que Kiefer avec son avion sur le sol. Kiefer joue de la lourdeur du matériau pour évoquer un fracas universel.
Le canoë de Ruggirello vole. Mais c’est seulement sous notre regard que le vol du canoë a lieu. C’est à travers une série d’associations que notre canoë commence à voler. Le vol reste virtuel, la sculpture immobile. Mais s’il vole grâce à nous, il vole sans nous. L’objet a perdu sa valeur d’usage. Il s’en est libéré pour voler. En ce sens, les canoës de Ruggirello fonctionnent comme métaphore d’un art de l’objet familier.

Toi nuage, passe devant! profite du mouvement des œuvres qui l’entourent. Deux vidéos montrent un arrangement opposé à celui des canoës. Il y a pendaison et non surélévation, et mouvement réel : un petit amandier en fleurs (Jardin égaré) et un mandarinier (Corde raide) accrochés sur une corde tournent lentement.
On a rarement vu un arbre complet à la verticale. Les images pourraient guère être plus surprenantes. Selon l’angle, le petit arbre déraciné fait voir des choses diverses: autour des racines, les mandarines apparaissent comme des planètes, la longueur de l’arbre est parfois abolie.

C’est un travail de sculpture (dans l’acte de pendre) autant que de graphisme (dans la prise de vue). Deux vidéos présentent chacune 24 minutes de la vie d’un arbre en suspension. Il ne s’agit pas de détruire que de modifier l’arbre. C’est un jeu. Même si les arbres sont pendus, ils n’en sont pas moins vifs et beaux. Comme le geste de casser les canoës, la pendaison, un geste qui pourrait être cruel est ici un geste qui élève.

Night Clubbing est également simple. Placé près de l’entrée, un tissu noir en désordre donne l’impression d’être là pour emballer une œuvre en déplacement de la galerie. Ce n’est que lorsqu’on découvre les deux cubes cachés sous la couverture qui tournent dans une intervalle régulier, qu’il est clair que ce tissu fait œuvre. Mais le geste artistique n’est pas assez fort pour libérer le tissu de la banalité quotidienne. Le mouvement sous la couverture fait l’effet d’un mot d’esprit qu’on a un peu trop entendu: que ce soit dans le jeu d’enfants, dans des scènes comiques (le cochonnet dans Sunrise de Murnau) ou érotico-comiques au cinéma, partout on l’a vu et revu. Il est difficile de voir en quoi consiste ici l’apport de l’œuvre de Ruggirello.

La cinquième œuvre diffère considérablement des autres. Elle est sculpturale dans un sens plus traditionnel, presque archaïque. Il s’agit de sept figurines (30 x 30 x 17 cm) en porcelaine non-polie (proche de la poterie). Les sept personnages ont des têtes difformes et bizarres sans être répugnants. Ils portent un secret, semble-t-il, en visiteurs d’un autre monde. Et leur nombre renvoie bien à l’univers de l’alchimie et des contes de fées (les sept nains, les sept corbeaux…): qui serait surpris d’apprendre qu’ils commencent à chuchoter à la tombée de la nuit dans une galerie vide ?

Traducciòn española : Santiago Borja
English translation : Laura Hunt

Jean-Claude Ruggirello :
— Night clubbing, 2006. Platines, boîtes, tissu. 250 x.180 x 35 cm.
— Corde raide, 2006. Vidéo. 22 mn.
— Toi nuage, passe devant !, 2006. Canoës, trépieds. Longueur 3,50 m.
— Sans titre, 2006. Porcelaine en 7 éléments. 30 x 30 x 17 cm.
— Jardin égaré, 2006. Vidéo. 26 mn.

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