ART | SPECTACLE

Je suis un metteur en scène japonais

03 Déc - 21 Déc 2012
Vernissage le 03 Déc 2012

En s’inspirant des codes du Bunraku japonais et en les déplaçant, Fanny de Chaillé met en scène les illusions et les artifices du théâtre.

Fanny de Chaillé
Je suis un metteur en scène japonais

Faire une pièce à partir de récits
«Il y a quelque temps, je suis tombée par hasard sur le livre de l’écrivain Dany Laferrière, dont le titre était Je suis un écrivain japonais. Pendant très longtemps j’ai pensé à ce livre, ou plus exactement à son titre, car j’aimais la revendication absurde qu’il portait mais aussi l’ensemble des questions qu’il soulevait.
Je ne suis jamais allée au Japon, mais depuis plusieurs mois je lis des textes sur le théâtre japonais et dès que je rencontre une personne qui a vu du no, du kabuki ou du bunraku, je l’interroge et lui demande de me décrire ce qu’elle a vu.
Je veux faire une pièce à partir de ce fantasme que je construis au fur et à mesure de mes lectures, de mes rencontres. Je me fais par l’entremise de ces documents une idée de ce qu’est ce théâtre, sur sa différence avec le théâtre que je connais et je veux construire une pièce à partir de cela, sur ce que j’en ai imaginé, sur ce que j’ai fantasmé. Je fantasme donc depuis plusieurs mois ce théâtre japonais, je ne veux pas me rendre au Japon pour en voir, mais continuer à chercher ce qu’il est, à travers ces anecdotes, ces lectures. Faire un projet, donc, à partir de ces multiples descriptions, ne pas voir d’image mais plutôt extrapoler à partir de différents récits : mémoire orale, textes théoriques, exposés, descriptions…»
par Fanny de Chaillé (avril 2010)

Le Bunraku est le vieil art japonais des marionnettes. C’est à lui que rêve Fanny de Chaillé quand elle s’improvise metteur en scène japonais. Du Bunraku, elle reprend la structure traditionnelle: un récitant qui joue tous les rôles de l’histoire, un musicien qui accompagne les émotions du récitant, des marionnettes de grande taille manipulées à vue par trois manipulateurs. Mais comme elle n’est quand même pas entièrement japonaise, Fanny de Chaillé introduit de légères et décisives modifications dans l’art traditionnel: la marionnette n’est plus une poupée mais un danseur de chair et d’os, le musicien ne joue pas du shamizen mais du yukulélé, le récitant ne raconte pas une histoire légendaire mais reprend Minetti, un texte de Thomas Bernhard. Je suis un metteur en scène japonais est donc une hybridation très poussée du genre originel. Prenons un exemple simple: si dans un premier temps le spectacle respecte le partage traditionnel des manipulateurs de la marionnette, un danseur en charge d’un bras et de la tête de la poupée, un deuxième de l’autre bras et le troisième des deux jambes, le fait même que le corps manipulé ne soit pas une marionnette mais un corps humain change beaucoup de choses: «Ce n’est pas le même rapport au poids, ni le même rapport au sol, on ne peut pas porter constamment la personne, elle est donc beaucoup plus dans le sol que la poupée du Bunraku qui flotte, vole, glisse» explique Fanny de Chaillé. Tous ces changements suffisent à modifier le Bunraku pour qu’on soit conduit ailleurs, autre part. Ni en Europe, ni au Japon mais dans un espace intermédiaire, et fantasmatique, où les images du Japon, même teintées de fantaisie, viennent revivifier l’art théâtral occidental. Cette dimension fantasmatique est d’ailleurs parfaitement assumée par Fanny de Chaillé qui interrompt Je suis un metteur en scène japonais par des «espèces de bulles» qui mettent en scène des fantasmes de pacotille, presque des clichés, sur le Japon. Une fois, le spectacle est court-circuité par une conférence sur l’origami et c’est une danseuse qui sert de feuille de papier à plier; une autre fois, c’est une geisha à l’éventail qui surgit sur la scène.
Les amateurs purs et durs de Bunraku pourraient se sentir frustrés. Mais, de toute façon, reproduire le Bunraku n’intéresse pas la pseudo metteuse en scène japonaise.

Fanny de Chaillé: «Ce n’est pas la marionnette qui m’intéresse, mais la capacité du collectif à créer une image ensemble. Tout le monde est au service de la création d’une image qui ne peut exister que par l’intermédiaire d’une force rassemblée. On ne travaille que sur ça et c’est sans doute très frustrant pour ceux qui sont sur scène. Ils ne construisent qu’une part de la réalité de l’image qui n’est visible que de l’extérieur. Mais c’est ce qui m’intéresse dans le Bunraku. J’ai l’impression que ça déplie la forme théâtrale. On voit les gens faire, manipuler, et pourtant ça fonctionne. Tout est vu, toute l’illusion est montrée, tout est donné – et quand même on éprouve de l’empathie en tant que spectateur. C’est vraiment une grande force : l’art est montré en même temps que le travail de l’art.»

Le Bunraku n’est d’ailleurs pas la seule jambe du spectacle. Son autre jambe est un texte de théâtre. Pas n’importe quel texte, mais l’intégral du Minetti de Thomas Bernhard, texte qui lui aussi réfléchit sur l’art et sur la condition d’artiste, l’histoire d’un vieil acteur qui n’a pas joué depuis des dizaines d‘années sauf Le Roi Lear et encore devant son miroir. Et qui ne cesse pas de parler maintenant : vieux, seul, vindicatif et énervé. On touche là sans doute un des nerfs du travail de Fanny de Chaillé pour qui mouvements et textes sont intrinsèquement liés. Non seulement, elle a beaucoup travaillé sur la poésie sonore, en particulier celle de Bernard Heidsieck, où les poètes performent leur propre texte au point que ce qui compte, c’est finalement autant leur voix que ce qui est écrit. Mais l’essentiel des spectacles de Fanny de Chaillé s’appuie sur des textes qu’elle manipule, reconstruit, réinvente. Dans Ta ta ta, par exemple, elle fait passer à sa moulinette personnelle Beckett, Duras et la pièce de boulevard Boeing Boeing.

Fanny de Chaillé: «J’ai besoin de la voix pour produire du mouvement. Je ne suis pas sûre de savoir pourquoi. Mais j’ai l’impression qu’on ne bouge jamais sans texte, qu’on a toujours un texte qui tourne dans la tête, quoiqu’on fasse. Ou alors c’est de l’authentic movement et moi je ne suis pas du tout là dedans.»
par Stéphane Bouquet

Texte «Minetti»: Thomas Bernard
Scénographie: Nadia Lauro
Musique: Manuel Coursin
Lumière: Yannick Fouassier
Avec Guillaume Bailliart (acteur), Christine Bombal, Tamar Shelef, Christophe Ives, Olivier Normand (danseurs)

Informations
Du 3 au 21 décembre 2012
Les lundi, mardi, vendredi et samedi à 20h
Le jeudi à 19h
Relâche mercredi et dimanche

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