PHOTO

Je pense comme une fille qui enlève sa robe

Dans une scénographie minimaliste, jouant sur une opposition de lignes noires et blanches révélées au fur et à mesure de la pièce, les corps des deux interprètes — d’abord vêtues et coiffées à l’identique, puis dévêtues et exhibées — interrogent les codes et les représentations de la prostitution. Deux corps différents qui apparaissent analogues et conformes à la fonction à laquelle ils sont dévoués : offrir du plaisir, nourrir des fantasmes dont ils ne sont que les interprètes passifs. Des corps se mouvant dans une expression du vide, sans rêve et sans désir, des corps se prêtant au jeu de ce qu’on attend d’eux.

Que la danse interroge la prostitution soulève avec audace le voile sur nos prohibitions. Conter la condition du corps prostitué suppose de mettre en scène un corps qui n’existe d’ores et déjà que par sa mise en scène, dans sa qualité de corps. La figure de style est surprenante, mais elle n’est pas dénuée de sens, elle révèle l’ensemble de ces moments de la vie des prostitués auxquels nous n’avons peut-être jamais songé. Les multiples scènes d’habillage et de déshabillage, réalisées en silence, dans la lenteur du geste, expriment avec brio cette lassitude du corps menant au déni de soi, à l’anéantissement de l’être. Cependant, la nudité est explorée à travers de nombreuses perspectives : le mouvement et le geste donnent leurs significations au corps, révélant la multiplicité des expressions possibles du nu.

Ce duo, construit sur un travail sonore considérable et sophistiqué, se nourrit également de la performance de l’interprète Jennifer Bonn, qui prête sa voix pour  de nombreux morceaux live. Le choix d’une scénographie amovible, constituée de lignes décollées, recollées, en pointillés, exprime manifestement la question des limites, limites sociétales, imaginaires, construites et déconstruites, qui animent nos schémas mentaux.

La dernière partie offre un instant d’enfance distillée dans le présent. De petits personnages de papier s’animent, virevoltent, dansent la ronde d’un rêve brisé. Les deux danseuse se distinguent.  La première, en parallèle du travail vidéo, dessine l’idée d’une femme parcourue par ces hommes de papier ne faisant que glisser, avalés, rejetés. Un corps rompu, sans souffrance, sans attente, un corps détaché qui n’existe que par son accessibilité à tous. La seconde, ayant révélé sa propre identité, transcende un corps sans nom et sans couleur, dans une affirmation de soi qui tient lieu de consolation.

Il s’agit d’un nouveau genre de représentation aux vertus sociales. La partie s’exprime dans une scène d’un genre « lap-dance » et révèle le tout d’une réalité aux contours variés, entre une prostitution subie et une prostitution revendiquée. Il existe une ambiguïté constitutive du discours sur la libre exploitation du corps. La prostitution même dans ses formes légalisées, comme c’est le cas en Suisse notamment, n’engendre pas une reconnaissance de cette activité. La dénégation sociale demeure au-delà des droits reconnus, sur le marché du sexe.

En partant de ce sujet de société, la chorégraphe cherche à saisir des notions plus abstraites, interrogeant l’universel de l’identité sexuelle et de la manière dont un homme peut s’imaginer être femme, posant la question d’une possession physique de l’autre comme forme d’appropriation ou non de sa pensée.

— Conception et chorégraphie : Perrine Valli
— Création sonore : Jennifer Bonn
— Création lumière : Cyril Leclerc
— Scénographies et costumes : Marie Szersnovicz
— Vidéoprojection : Akatre
— Regard extérieur : Frédéric Lombard
— Musique : American music Club, Dok Bundi, Bobby Lapointe