ART | CRITIQUE

James Turrell, Hedi Slimane

Vernissage le 14 Sep 2004
PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Sculpteur de la lumière et éveilleur des sens, Turrell propose au spectateur de traverser à tâtons une salle obscure pour s’introduire dans l’œuvre, d’accomplir un trajet tant physique que mental.

James Turrell ne laisse rien au hasard, pas même le préambule à ses installations. On rentre dans la galerie par un corridor, faisant passer de la lumière du jour à l’obscurité presque totale de la salle. La scénographie de Turrell implique ce cérémonial franciscain pour être livrée dans sa nudité la plus crue.
Au-delà du rite initiatique, Turrell invite le spectateur à découvrir deux œuvres espacées de trente ans, deux moments d’un parcours suffisamment long pour que pointe l’idée de son évaluation critique.
Juke Blue (1968) dans la première salle fait partie de la série des « Projection Pieces » qui aura occupé l’Américain de 1966 à 1969. L’éclairage bleu incandescent vient fixer une forme géométrique à l’extrémité de l’espace. Au sol, une plaque rectangulaire délimite le champ lumineux, celui-ci se prolongeant également sur les deux murs d’angle. Le découpage du néon fait vivre un corps trapézoïdal, solide sur ses pieds et affûté vers la tête.
Cette sculpture qui pourrait prendre les traits d’une installation monumentale n’engage devant le spectateur que sa troublante immatérialité. Rien n’est palpable, tout juste entrevoit-on le vide lorsque l’ombre du spectateur vient briser la ligne du faisceau. Le spectateur devient dès lors acteur de la dissolution de l’œuvre.

Le spectateur : voilà la cible privilégiée de Turrell. Avec Juke Blue, l’artiste explore notre perception de l’œuvre et sa domestication progressive. Celles-ci demeurant toutefois incomplètes tant l’œuvre surclasse les impressions esthétiques pour se faire approcher et se faire désirer par le corps tout entier.
Ce qui était entrepris en 1968 se concrétise dans la deuxième œuvre, Cherry (1998), associée à la série des « Aperture Piece ». Plutôt que d’appréhender les dimensions de l’œuvre, Turrell propose de s’introduire dans l’œuvre, d’accomplir le trajet tant physique que mental séparant le spectateur de la « matière ».

C’est donc à tâtons que l’on traverse une salle obscure pour arriver à l’unique source lumineuse qui se dresse devant nous. Papillon de nuit ayant perdu tous repères spatiaux, le spectateur fait face à l’illusion d’une surface plane, un monochrome rouge pourrait-on dire, qui n’est autre qu’une fenêtre ouverte sur un autre espace : plutôt que d’être moqueuse, la duperie (ou le trompe-l’œil si l’on préfère) est merveilleuse, d’une troublante et vertigineuse beauté. On se rapproche ici du travail d’Yves Klein, autre « monochromiste » de génie lorsque celui-ci envisageait d’embrasser la totalité du réel par la peinture. L’Américain serait quant à lui un sculpteur de la lumière et un éveilleur des sens.

Trente ans de réalisations auront permis à l’Américain d’apprivoiser la lumière, d’en faire un médium comme les autres et de renouveler ainsi l’expérience de l’espace dans l’art. Mais plus que cela : ils nous auront informé sur le devenir acteur du spectateur, sur ses prédispositions à activer ou réactiver l’œuvre. Ils auront également indiqué, ce qui n’est pas le moindre, que l’exposition est bien le lieu où surgit et se crée l’œuvre.

L’exposition peut être aussi le lieu de l’archivage, un temps de silence après ou au-delà du spectacle.
L’installation de Hedi Slimane (Stage, 2001-2004) présentée dans le show-room de la galerie répertorie sur quatre écrans des images fixes de groupes de rock en scène, notamment celles des Libertines et de son ancien leader charismatique Pete Doherty.
Quatre écrans qui déroulent le fil du concert, ses mythes et ses attributs. Depuis la mise en lumière du spectacle (écran 1), l’image de la rock star (écran 2), jusqu’au public en véritable séance d’adoration (écran 3), pour finir sur des arrêts sur image calculée montrant la scène, et surtout le jeu du guitar hero.
Inébranlable mystification, la fascination pour la performance rock court toujours : Slimane surfe sur ces poncifs, ne négligeant aucun gros plan, aucun flou, aucun symbole ni aucune convention. Il avance sur les pas du sacré, mais plutôt que de « surdimensionner » la cristallisation à outrance du phénomène, il l’annule en l’isolant d’une part, puis en l’enfermant dans une scénographie très formelle, très loin du flux et de la tension qui se dégage des images.
Heidi Slimane les rend propres, les aseptise et même les sanctuarise. Alors donc, le rock serait-il définitivement vieux ?

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