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J’ai perdu ma tête

12 Mai - 02 Juil 2011
Vernissage le 12 Mai 2011

Dans ses photographies sur le monde de la folie, Peter Granser ne succombe pas à la séduction du superficiel. Plutôt que de documenter des scènes sensationnelles il s'attache aux traces de destins individuels.

Communiqué de presse
Peter Granser
J’ai perdu ma tête

Souvent, le chemin n’est pas très long. Plus court même qu’on ne le pense. De la normalité à la folie. Peter Granser l’a parcouru. Il s’est rendu en voiture dans une maison de fous, dans la province française. Maison de fous. C’est bien provocant. De nos jours, on appelle ce genre d’endroit «institut psychiatrique» ou «centre pour malades mentaux», ou quelque chose de ce genre.

Mais Granser a cherché un accès direct à la folie. Et ce qu’on peut détecter derrière la façade des termes et noms techniques. Granser s’est donc rendu dans un asile d’aliénés, là où la folie fait partie du quotidien.

Comment approcher l’aliénation mentale? Est-il possible à un photographe de donner des indices de ce phénomène? Rien ne se prête mieux à la folie que d’en faire un spectacle, de mettre en scène les malades mentaux comme des spécimens intéressants.

On connaît bien les images bouleversantes des institutions pour malades mentaux en Roumanie: des êtres humains traités comme des animaux, sales et en guenilles, bouches hurlant en silence dans des cellules sans lumière. L’horreur à l’état pur.

Peter Granser a choisi une autre voie. Le spectaculaire de l’aspect extérieur ne l’inspirait pas; il voulait au contraire mettre au point son image du monde de la folie selon la perspective intérieure. Il lui a fallu quelque temps pour trouver un institut prêt à lui ouvrir ses portes. Impensable en Allemagne. Mais en France, il a rencontré un médecin qui était prêt à lui permettre de jeter un regard dans les coulisses de la vie de son institution.

Pas à pas, Peter Granser et son assistant Dylan Spencer-Davidson se sont approchés de ce monde étrange et nouveau. Il a fait connaissance avec les patients, s’est informé de leur sort, de leurs joies et de leurs compulsions.

Dès le début, il a cherché à développer une image de ces personnes qui ne les présente pas comme des instables mentaux. Elles devaient simplement être elles-mêmes. Mais il est devenu vite évident que c’est justement ce soi-même, cet ego, que ces personnes ont perdu. «J’ai perdu ma tête». Ravagé, blessé, brisé. L’aliénation est une perte du moi.

Comme le cas de Jean-Jacques qui a assisté impuissant à la mort de son enfant et de son épouse brûlant à côté de lui dans la voiture; la plupart du temps tout à fait calme, il a subitement besoin de se cogner la tête contre le mur. De toutes ses forces. Des gens comme lui ne se sentent en vie que quand ils se mutilent eux-mêmes ou en frottant toujours un même endroit comme s’ils voulaient soit l’enlever, soit le faire pénétrer.

Pascale est tirée à quatre épingles. Une Grande Dame. Elle est la plus belle. Elle le sait et les autres le savent aussi. Mais personne ne peut dire avec certitude si elle a vraiment été mannequin et si elle appartenait à la haute société. Même Louise. Cette dernière est toujours prête à partir. Tous les jours, elle fait sa valise et enfile son manteau de voyage en préparation au jour où le départ aura lieu. Tous les jours. C’est complètement insensé. Une vie de folie.

Peter Granser a participé à la vie quotidienne dans l’institut, a vécu à proximité des patients, a passé du temps avec eux devant la télévision, dans la salle à manger, lors de sessions de thérapie artistique. La vie ici est soumise à un rythme strict. Les rituels sont des substituts de la normalité. Il y a des heures de repas, des heures de travail, des excursions, des heures de sommeil.

Plus Peter Granser s’est immergé dans ce style de vie institutionnalisée, plus s’est aiguisé son sens pour les traces subtiles que la folie laisse dans chaque détail de cette vie quotidienne –les taches sur les murs, les dessins sur le sol ou un lit non fait. Le temps aidant, les patients ont commencé à lui faire confiance.

Alain, Dominique, Matthieu et tous les autres attendaient avec plaisir la venue du photographe et le laissaient pénétrer davantage dans leur monde en lui montrant leur chambre avec des photos, des dessins, des objets personnels et du quotidien.

Parfois, il y avait des excursions surveillées, à l’extérieur, pour ceux qui s’étaient bien comportés et ils demandaient à Peter Granser de les accompagner. Les premières photos de groupes ont alors été prises. Peter Granser a été aussi autorisé à photographier les objets en terre glaise réalisés dans la classe de thérapie artistique.

Mais il a fallu arriver à la fin de son séjour pour que les patients l’autorisent à faire un portrait de chacun d’eux. Ils lui ont donc finalement confié leur visage, leur regard dans lequel se trouvent exposés à nu leurs souffrances et leurs troubles psychiques.

Peter Granser n’a jamais abusé de cette confiance, par exemple en réalisant des photos spectaculaires rendues possibles par cette intimité acquise de haute lutte. Dans chaque situation, il garde une distance respectueuse, reste un observateur silencieux et décontracté.

Nulle part, il ne succombe à la séduction du superficiel. Il ne documente ni des scènes sensationnelles ni des destins individuels. On ne sait jamais quelles traces, quelles signatures correspondent à quelle personne. Peter Granser a fixé récemment de telles traces dans de courtes séquences vidéo et des prises de son: il s’agit de miniatures acoustiques et visuelles parlant de l’étrangéité troublante et de l’énigme hermétique de ce monde autre.

Les photos de Peter Granser réalisées dans l’asile de fous se suffisent à elles-mêmes sans aucune exhibition de monstres ou d’horreur. Elles déploient leur intensité grâce à la retenue du regard du photographe et à sa connaissance approfondie de son sujet.

Ce sont des compositions faites de nuances, de suggestions et de pressentiments, des photographies qui ne montrent pas le masque grimaçant de la folie mais plutôt son expression humaine. Un visage étrangement familier. On le connaît en partant du miroir et l’on sent que le chemin jusque là peut être bien court, plus court que l’on ne le pense. De la normalité à la folie.

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