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Isabelle Lévénez. Chez l’un, l’Autre

PCarré d’Art
@12 Jan 2008

Les vidéos d’Isabelle Lévénez sont autant d’invitations au voyage, de plongées vertigineuses dans son univers intime où des personnages rejouent et exorcisent nos peurs, nos tourments, nos angoisses.

Une double exposition est présentée à la galerie (rue de Bretagne), et en appartement (rue des Ursulines). À la galerie, Isabelle Lévénez expose une série de dessins: une robe rouge aux couleurs délavées semble flotter dans le vide; des phrases, dont les lettres sont tracées maladroitement de la main gauche, couvrent le fond du dessin. Ces écritures enfantines sont les traces de la mémoire qui nous hante. Quelques mots font allusion à une petite fille qui sautait à la corde dans sa petite robe rouge…

Cette exposition est une invitation au voyage, une plongée vertigineuse dans l’univers intime de l’artiste où des personnages des vidéos rejouent nos peurs, nos tourments, nos angoisses afin de les exorciser. À travers ses vidéos et ses dessins, l’artiste interroge les fondements de l’identité.

Silence il joue (2001) est une vidéo projetée en boucle sur un mur de pierre. La pierre est un élément clé qui permet de gommer le cadre de l’image; les corps peuvent s’inscrire sur et dans n’importe quelle surface et donner l’impression d’un surgissement. Un jeune homme de dix-huit ans joue à se tuer, il porte sa main à sa tempe en imitant le geste d’un revolver: « Pan !, dit-il, Je suis mort… » Diffusé en boucle, le jeu n’apparaît plus innocent. Est-ce un suicide ? Un simple jeu enfantin ? Le passage douloureux de l’adolescence à l’âge adulte est mis en scène : la mort de l’enfance, l’identité en construction, la fragilité de la vie.

Dans la vidéo Je ne respire plus (2002), une jeune femme déguisée en personnage de manga gît sur le sol dans le quartier de la Défense, à Paris. Cette créature ne paraît plus respirer. Immobile, elle chantonne : « Un jour mon prince viendra… » Elle semble morte, ou du moins ne pas appartenir à ce monde. Les passants ne se soucient pas d’elle, ils enjambent cette créature manga dépourvue de substance… La fiction a pris le pas sur l’identité de cette jeune femme égarée dans l’abîme du rêve.

Qui a peur du grand méchant loup ? est projetée sur une table renversée à même le sol. La table, objet dépositaire de mémoire, a conservé précieusement son secret. Un homme recroquevillé sur lui-même dans une position fœtale chante : « Qui a peur du grand méchant loup  ? » Cet homme a été, enfant, traumatisé par un grand méchant loup qui n’appartenait pas à l’univers du Chaperon rouge… De l’autre côté de la table, sur le plateau, figure la réponse à cette énigme : « Lorsque j’étais petit, j’ai rencontré le grand méchant loup et c’est là que j’ai appris à hurler… » Le grand méchant loup était sa mère qui usait de la violence physique pour apaiser son incommensurable colère. Cet homme s’immerge dans son passé d’où ses blessures resurgissent à fleur de peau.

Dans Marie (2002), une jeune femme aux yeux bandés joue à colin-maillard en criant son propre prénom avec une frénésie croissante qui angoisse. Marie, est-elle seule face à sa propre angoisse ? Elle tourbillonne sur elle-même, la tension monte au point de devenir quasiment insoutenable. Marie est-elle la victime de ce jeu, ou son propre bourreau ? Isabelle Lévénez cultive l’ambiguïté et explore la frontière de l’indicible où le basculement vers le tragique ne tient qu’à un fil sur le point de se rompre.

Enfin, Diptyque Soumission (2001) se compose de deux écrans. Sur le premier, des mains jointes dans un geste de prière sont liées par un fil rouge. Sur l’autre, une bouche est ligotée peu à peu, également par un fil rouge… Souffrance d’une jeune femme soumise qui abandonne son désir dans les mains d’un autre qui la plie à sa volonté, et avec lequel elle fait corps. Jusqu’où ira-t-elle dans ce jeu du maître et de l’esclave, du couple dominant-dominé, du signifiant-signifié qui se nouent et se délient pour explorer le sens de l’être, le pouvoir de l’amour et l’abandon de soi ?

Le travail d’Isabelle Lévénez oscille entre l’innocence d’un geste soudain et cette autre chose à qui elle parle directement : l’invisible qui est en nous.

— Sans titre, 2003. Caisson : photo et texte. 60 x 70 cm. Avec la participation de Pierre Besson.
— Sans titre, 2002. Dessins : encre aquarelle, craie, pigments, huile sur papier. 110 x 75 cm.
— Marie, 2003. Installation vidéo.
— Qui a peur du grand méchant loup ?, 2002. Projection vidéo sur une table.
— Silence il joue, 1999. Projection vidéo et billes de plomb.
— Soumission, 2002. Dyptique : projection vidéo sur 2 moniteurs.

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