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Is There Anybody Out There

On est pourtant très loin du reportage de guerre. Pas de photos chocs paris-matchées, pas de sensationnalisme déplacé. Bien au contraire, c’est l’art qui demeure au centre d’une réflexion profondément ancrée dans le réel, dans la réalité même. A l’instar de Mona Hatoum, autre artiste libanaise, ils proposent une immersion dans le politique par le biais de l’art, sans revendication mais avec pertinence.

Quand une bombe tombe, au Liban ou ailleurs, il y a phénomènes simultanés de destruction / création, disparition / apparition, points de vues obliques. C’est ainsi que l’exposition Is There Anybody Out There ? agit comme une bombe, à retardement et à fragmentation, balayant d’un souffle le spectre de la vision.

Successivement, on s’enfonce vers une altération du visible au travers d’un questionnement sur le médium photographique (et son corollaire en mouvement qu’est la vidéo). La série des Two Suns In a Sunset paraissent à première vue comme des prises de vues convenues surplombant Beyrouth.
Pourtant, rapidement, l’étrangeté de l’image transparaît sous le déjà-vu. Mélange de plusieurs clichés pris à des heures différentes, la vue sur la ville se fait tour à tour magique, lugubre, annonciatrice d’apocalypse ou de miracle. Une lumière divine fond littéralement sur le théâtre des opérations.

Avec les séries Les Équivalences, Bestiaires et la vidéo Barmeh/Rondes, on s’enfonce vers une zone tampon, où la photo transfigure l’extériorité. Le regard se déplace et adoucit paradoxalement la violence en la rendant, par l’absence, beaucoup plus présente et intrigante.
C’est ainsi que, pour les deux derniers cités, photos de réverbères détruits et déambulation folle dans une ville au paysage dévasté et dissimulé, le hors cadre permet une relecture géopolitique du médium photographique. Pour la première, c’est l’angle attaqué qui renvoie tant à Gordon Matta-Clark qu’au Destroyed Room de Jeff Wall, à la différence près que rien n’est ici simulé, ni volontaire.

On progresse dans la disparition avec Faces, série de portraits de victimes et combattants de tous bords mélangés qui, par des rehauts de crayons, réapparaissent, ressuscitent sous un visage qui se refuse à toute interprétation.
On atteint enfin la métamorphose par Images latentes qui, sous forme de livre ou de tirages, remplace le contenu de la pellicule par un texte neutre décrivant la photo supposée. Si le concept peut faire penser à des définitions kosuthiennes, une surprenante poésie se dégage de ces murs de tirages invisibles jouant sur l’objectivité.

Une échappatoire à ce qu’on peut ou ne peut pas montrer, à ce qu’il y a à voir, à regarder ou à relire dans toute image, et plus particulièrement celles relevant de l’information. Plus qu’une mise en garde.

liste des œuvres
Joana Hadjithomas & Khalil Joreige
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Les Équivalences #1 à 3, 1997. Tirage lambda sur aluminium. 84 x 124 cm.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Les Bestiaires, 1997. Tirage sur papier Baryté. 30 x 40 cm.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Two Suns in a Sunset #1 à 4, 2010. Diasec. 51 x 120 cm.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Barmeh / Rondes, 2001. DVCAM. 7’30’’.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Faces (séries 3, 4, 5, 6), 2009. Photo et dessin. 8 tirages lambda sur aluminium. 50 x 36 cm chaque.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Images latentes, 3e volet du projet Wonder Beirut, 1997-2006. Tirages argentiques sur aluminium. 38 planches contacts. 30 x 40 cm chaque. 3 tiroirs. 47 x 58 cm chaque.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Images latentes / Journal d’un photographe, 2009. Imprimé en offset sur papier Vega 90gr et arcoprint 300gr pour la couverture, 1312 pages. 18 x 24 cm.
— Joana Hadjithomas & Khalil Joreige, Aida, sauve-moi, 2010. Captation. 55 min.