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Ion Bârladeanu

PPhilippe Godin
@03 Avr 2010

Créateur de collages, Ion Bârladeanu originaire de Roumanie, est un de ces êtres indomptables et fiers qui refusa de se soumettre durant les années de fer. La liberté qu’il ne put trouver sur le plan politique, il l’a conquise dans l’originalité de son langage plastique.

Ion Bârladeanu appartient à ces peuples opprimés et dénués d’espace public pour mettre en œuvre une action individuelle ou collective. Il mena de plus une existence marginale faite de petits boulots, mais préserva, toujours en marge de son statut social d’ouvrier, un espace de jeu esthétique. Ses œuvres n’ont donc pas pour objet une histoire ordonnée, mais de purs percepts arrachés à un monde de clichés.

Quatre-vingt-huit collages de papier aux couleurs légèrement passées mélangent des icônes du cinéma (français notamment : Bardot, Belmondo, Delon), des people désuets, des images de pub ou d’érotisme kitch, mais surtout des figures de l’univers politique de l’ère Ceauşescu (militaires, dignitaires, « miliciens, etc.)

Les travaux de Ion Bârladeanu sont uniquement réalisés à partir d’images découpées dans des magazines et des dessins. Avec ces modestes ressources, il crée de véritables photogrammes cinématiques qui réussissent, par ce mélange hétéroclite, à produire un effet de distanciation.
Plus qu’un alliage de pop art, de surréalisme et de dadaïsme, la référence majeure est cinématographique et sans doute plus lointainement celle de l’art des icônes. L’originalité de cet artiste étant de combiner cette fascination très ancienne pour l’image (propre à l’art byzantin) en l’appliquant avec humour aux nouveaux icônes de notre modernité.

Cette influence se manifeste particulièrement dans le refus systématique de tout réalisme dans les collages. Tout semble fait pour aller contre l’art officiel de l’époque (naturaliste et réaliste). Et en cela Ion Bârladeanu va puiser dans cette longue histoire de l’icône qui privilégia une approche symbolique du réel au détriment du souci de la ressemblance propre à l’art occidental classique.
Ainsi, la rigueur du langage plastique de Ion Bârladeanu relève plus de l’écriture que du dessin ou de la photographie. Corollairement à cette formalisation, il a pour principe de recombiner ses images selon une syntaxe byzantine. Il n’échelonne pas les éléments selon le principe optique de la perspective, qui les condamnerait à se cacher partiellement les uns les autres. Au contraire, les images sont disposées dans une sorte de diagramme. Telle cette énorme bouteille de Vodka qui sépare deux travailleurs alertes (digne d’un tableau du réalisme-soviétique, en en moquant par là même le souci hygiéniste!)
Chaque élément est souvent présenté sous son profil le plus significatif, sans égard à l’unité conventionnelle du point de vue. Ainsi, la carlingue de l’avion est vue de profil comme les moudjahidin face à un énorme cochon qui traverse le collage.

Toutefois, contrairement à l’art des icônes, les œuvres de Ion Bârladeanu ne racontent pas d’histoire et semblent vouloir s’extraire de toutes formes d’histoire (politique ou religieuse).
Comme dans certains films de Godard (Made in USA), Ion Bârladeanu pratique le montage par un rapprochement de choses qui ne semblent pas disposées à être rapprochées. Les compositions sont conçues à partir d’un clavier déterminé d’éléments iconiques qui tissent entre les figures les plus diverses un réseau d’associations imprévues.
Telle cette image de paysan roumain en costume folklorique admirant les trois cosmonautes américains d’Apollo, ou celle du dictateur Ceausescu placé entre le personnage de Shrek et un pistoléro sorti d’un western spaghetti!

Cet effort, pour suspendre la vision, dans un monde soumis aussi bien aux images de l’idéologie communiste qu’à celles de l’Occident (tout autant moquées!), brise tout effet possible de narration par des faux raccords, des associations incongrues, une saturation de l’espace et des effets de fausse perspective (Brigitte Bardot semble s’écraser sur elle-même dans une chambre surchargée de tableaux).

Ion Bârladeanu use aussi fréquemment du procédé de mise en abîme d’images dans l’image (par l’usage d’écrans de télé, de cartes, de pub, de tableaux, etc.). En associant par exemple des ouvriers roumains avec des combattants nord-vietnamiens et une bouteille de Vodka, il appelle le spectateur à se réapproprier sur le mode de l’humour et de l’ironie une situation politique et culturelle aliénante.

La dernière partie des collages est postérieure à la chute du régime communiste. Les thématiques politiques de l’ère Ceauşescu laissent de plus en plus la place aux sujets érotiques déjà présents auparavant, mais comme libérés de toute contrainte.
Mais là encore, le traitement esthétique importe plus qu’un quelconque défoulement post-dictature. Ion Bârladeanu traite indifféremment les mêmes éléments pour la représentation des femmes et des machines, ou des objets de consommation (voitures de rallye, paquets de cigarettes, bouteilles d’alcool, etc.)
Ion Bârladeanu sexualise les machines et les objets de consommation (voitures de rallye, paquets de cigarettes, bouteilles d’alcool, etc.) — on pourrait aussi bien dire qu’il mécanise la sexualité. Les couples qui font l’amour sur une voiture parodient les films pornos, mais jouent aussi comme éléments d’un langage purement plastique.

Là encore, il adapte au langage plastique les procédés arbitraires du langage verbal, puisque, à l’instar d’un écrivain qui décrit minutieusement ce qui l’intéresse et qui généralise le reste. Il néglige aussi fréquemment la dimension relative des personnages et des objets, les agrandissant ou les rapetissant selon l’importance sensorielle ou intellectuelle qu’il leur attribue. Comme ce gros plan d’un homme en slip vu de dos à coté d’un soldat minuscule pointant son fusil. Ou cette composition d’une énorme saucisse s’invitant dans un collage devant les regards fascinés d’un gros chat, d’un homme moustachu et d’un pope !

Liste des œuvres
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°40, 1982. Collage de papier. 38 x 53 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°97, 1982. Collage de papier. 38 x 52,5 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°421,1983. Collage de papier. 30,5 x 47 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°355, 1987. Collage de papier. 31 x 47 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°1544,1991-1996. Collage de papier. 30 x 46,5 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°87, 1991. Collage de papier. 30,5 x 46,5 cm
— Ion Bârladeanu, Untitled, n°1531, 1991-1996. Collage de papier. 30,5 x 46,5 cm

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