ART | EXPO

Inventing a future

26 Jan - 16 Mar 2013
Vernissage le 26 Jan 2013

L'exposition joue sur une double ambiguïté: en faisant l'annonce d'un possible échec ou d'un temps révolu, les œuvres ouvrent toutefois dans le même souffle un nouveau champ des possibles. En fonctionnant sur le mode du temps suspendu, les œuvres créent une temporalité non linéaire, faisant se superposer futurs contingents et mythe des origines.

Nikhil Chopra, Ryan Gander, Beatrice Gibson, Julius Koller, Roman Ondák, Jirí Kovanda, Deimantas Narkevicius, Yann Sérandour
Inventing a future

Cette exposition s’inspire d’un extrait de coupure de presse repris par Jiri Kovanda dans un de ses collages intitulé The end of utopia:
«L’euphorie est terminée.
Recommençons la.»

Cette injonction pourrait sonner comme un constat: celui d’un certain désenchantement, de la fin des utopies. Sans en préciser les causes, elle annonce un point de rupture, le retour forcé à un point zéro. Ecran blanc (ou noir) de la fin d’un film d’apocalypse: ce qu’on a connu n’est plus, reprenons du début.
Toutes les œuvres présentées dans l’exposition jouent de cette double ambiguïté: en faisant l’annonce d’un possible échec ou d’un temps révolu, elles ouvrent toutefois dans le même souffle un nouveau champ des possibles.
En fonctionnant sur le mode du temps suspendu, comme autant d’arrêts sur image sur des moments de tension, les œuvres créent une temporalité étrange et non linéaire, faisant se superposer futurs contingents et mythe des origines.
Les artistes présents dans l’exposition ne s’intéressent finalement pas tant à la fin d’une histoire qu’au fantasme de la réécriture, de la projection, du recommencement permis.
Les limites une fois posées, tout est rendu possible.

Dans la vidéo Agatha (2012), nous n’entendons qu’une seule voix – celle de Beatrice Gibson, auteur de l’œuvre mais ici aussi narratrice. En maintenant une ambiguité troublante sur son identité (et sur son sexe, notamment), ‘elle’ fait le récit d’un conte étrange raconté à la première personne et au passé.
Scientifique peu qualifiée envoyée en mission de reconnaissance sur une planète qui ressemble à la Terre, elle parle de sa rencontre avec les indigènes – des êtres au sexe indéterminé qui communiquent sans paroles, par la seule musicalité de leurs gestes ou en changeant de couleur.
Cette histoire de science-fiction (sommes-nous dans un hypothétique futur proche, dans un passé qui aurait pu être, dans un monde présent parallèle?), s’inspire en fait d’un enregistrement de 1967 où Cornelius Cardew (compositeur britannique de musique expérimentale mort en 1981) raconte un de ses rêves. A partir de l’imaginaire insconscient et intime d’un autre, énoncé comme une histoire possiblement vécue (on parle toujours de ses rêves au passé et non au conditionnel), Beatrice Gibson noue de nouveaux enjeux fictionnels et cinématographiques. L’intime est ici traité comme un matériau irriguant l’ensemble du film de façon subliminale et souterraine, l’ambiguité du récit n’étant jamais levée et ni résolue par l’indétermination spatio-temporelle propre au genre S.F.

L’installation On the subject of horizontals and verticals a Bird-walk is added (The remnants of Theo and Piet’s fall from 1924 through Frank’s living room window at Taliesin, during a struggle brought on by an argument over the dynamic aspect of the diagonal line again) de Ryan Gander a été présentée dans une salle de lecture du Guggenheim à New York. Les visiteurs qui pénétraient dans l’espace se trouvaient confrontés à une scène chaotique directement liée à la fascination de Gander pour le schisme qui opposa Piet Mondrian (1872-1944) et Theo van Doesburg (1883-1931) dans les années 20. Le titre de la pièce fait en effet référence au différend qui opposa les deux artistes et amis au sujet de la diagonale, véritable motif de scission qui mena dès 1924 à la création de l’Elémentarisme en opposition au Néoplasticisme.
Ryan Gander fantasme ici que cette dispute aurait mené les deux hommes à une bataille violente, qui les aurait envoyés s’écraser contre les vitraux colorés du salon de Taliesin, la maison où Frank Lloyd Wright (architecte de la modernité et du bâtiment du Guggenheim) vécut entre 1914 et 1959. Par un décrochement spatio-temporel étrange, les débris de cet accident atterrissent dans une salle de lecture et sont ici rejoués dans l’espace de la galerie. Conscient des échecs des idées modernistes, Ryan Gander les remet ici en scène, en les transformant en éléments prétextes à fiction.

Invité au CGAC de Saint-Jacques de Compostelle en 2008, Yann Sérandour a produit pour l’occasion l’œuvre Perfect Lovers (2008). Il s’est servi de l’affiche annonçant l’exposition de Felix Gonzales-Torres au même CGAC de 1995, dernière exposition monographique de l’artiste ayant eu lieu de son vivant. Sur le poster est reproduite Untitled (Perfect Lovers), œuvre réalisée par Gonzales-Torres peu après que son partenaire soit décédé du Sida. Deux horloges identiques placées côte-à-côte sur un mur, initialement réglées à la même heure et irrémédiablement destinées à se désynchroniser. Démonstration d’entropie ici figée sur papier glacé, à laquelle Yann Sérandour vient superposer une nouvelle lecture, temporelle et symbolique: un système de mouvement à quartz a été fixé devant l’horloge de droite, et ses aiguilles donnent l’heure du temps présent.

Dans l’installation Teenagers (2002), douze dessins sont accrochés au mur, deux par deux. Ils ont été réalisés par deux adolescents: Július Koller et Roman Ondák. Bien que réalisés à plusieurs années d’intervalle, ces dessins d’enfance présentés par paires soulignent davantage leurs ressemblances et leurs différences plutôt qu’ils n’interrogent une quelconque influence ou un talent de jeunesse. Appartenant à deux générations différentes (Koller a connu l’idéologie communiste, Ondák l’ouverture de la Slovaquie à l’U.E.), ils se retrouvent ici à travers l’état encore indéterminé de l’adolescence: amis proches quand ils ont conçu ensemble cette pièce, ils n’étaient encore que des enfants quand ils ont réalisé ces dessins.
Cette pièce annonce certaines récurrences dans l’œuvre de Roman Ondák: les rapports entre la réalité et sa mise en scène, entre le moment unique, imprévisible et sa répétition, ou encore la mémoire, dont la représentation offre un espace plus libre pour l’imagination et l’inconscient. Comme une prémonition à l’envers, la bouteille de Július Koller sur fond noir fait aussi étrangement écho à la fusée de Roman Ondák fonçant à toute vitesse dans l’espace. On ne peut s’empêcher alors de penser à l’intérêt constant qu’a eu Július Koller (qui s’est aussi interrogé toute sa vie sur le rapport à l’altérité, et s’est inventé des interlocuteurs fictifs) pour les mystères du cosmos, et à sa vision «futurologique» — ni présent, ni futur, une temporalité avec ses discontinuités, ses anachronismes et ses temps parallèles.

Dans son film The Dude Effect (2008), Deimantas Narkevičius met en scène un événement qui n’a jamais eu lieu: le lancement, dans les années soixante-dix, de fusées nucléaires depuis une base soviétique située en Lituanie. Si cette base existe bel et bien, elle a été fermée en 1977 sans qu’aucun missile n’y ait jamais été lancé. Aidé de témoignages d’officiers russes y ayant servi, Deimantas Narkevičius est parti filmer les ruines de la base et dans la structure des installations souterraines. Il s’est également servi d’images d’archives datant des années 1970. L’artiste a ensuite simplement utilisé les moyens modestes du collage cinématographique en incluant les photos noir et blanc et une bande-son des ordres de lancement donnés en russe.
Anti-spectaculaire, la vidéo s’intéresse au lancement plutôt qu’à l’impact, le tout étant filmé comme un descriptif clinique d’une routine administrative. La fin du film montre des plans de paysages indéterminés, possible monde post-apocalyptique ou simples ruines du temps, les marques de la fin de l’empire soviétique.
A travers ses formes expérimentales et ses collages plastiques, Deimantas Narkevičius revisite ici une époque où l’utopie a échoué; en s’infiltrant dans l’Histoire par le biais d’une fiction aux faux airs de documentaire d’époque, il s’autorise à rejouer le passé pour prévenir d’un conditionnel latent, d’un futur toujours possible.

La pratique de l’artiste indien Nikhil Chopra s’inscrit entre la performance, le théâtre, l’improvisation, la peinture, la photographie, la sculpture, le dessin et les installations. Son travail est une investigation critique de l’histoire post-coloniale de l’Inde, qu’il décrit comme «obsédée par une nostalgie pour le Raj britannique» (période de domination britannique du sous-continent indien entre 1858 et 1947). L’immédiateté et l’urgence de la performance sont pour lui des moyens d’explorer des thèmes liés au colonialisme, à l’identité, à l’exotisme. A chaque invitation qui lui est faite, il active un personnage de son invention, lié à sa propre histoire ou à l’histoire collective de son pays. Chaque performance commence par des actes simples du quotidien tels que manger, dormir, se laver, s’habiller, dessiner, confectionner des vêtements, se maquiller… qui prennent valeur de rituels. Ainsi les quatre photographies grand format présentées dans l’exposition ici sont issues d’une de ses performances intitulée Inside out (2012) réalisée à San Gimignano pendant 99 heures. L’artiste y personnifia un peintre errant, inspiré par Gozzoli, marcha à travers la petite ville et réalisa plusieurs dessins de San Gimignano et du paysage toscan. Moins politique que ses autres performances, Inside out rend compte d’une collision entre des temporalités différentes; les traces de l’histoire médiévale et de l’art Renaissance se trouvent ici absorbées, digérées, retranscrites par et sur l’artiste lui-même. Pour sa performance Tog Raj Chitrakar visits Lal Chowk (2007), a revêtu l’identité de l’un de ses personnages fictifs, inspiré par son grand-père. Cet homme, qui était parti étudier la peinture en Angleterre dans les années 30, peignait souvent de grands paysages du Cachemire, région dont il était originaire et où il lui était impossible (ainsi qu’à toute sa famille) de retourner à partir de 1989 à cause des factions séparatistes. Ses grandes peintures, qui ornaient la maison d’enfance de Nikhil Chopra, étaient pour lui un moyen de voyager mentalement au-delà des bornes imposées par le politique. Pour cette performance, il retourne à Srinagar, capitale d’été du Jammu-et-Cachemire: si les pressions y sont aujourd’hui moins marquées, la présence policière y est toujours très forte. La performance commence par le rituel de transformation de Chopra qui revêt costume, coiffure et maquillage de son personnage, avant de se lancer dans une marche à travers la ville. Arrivé à Lal Chowk, quartier central de la ville, une foule se rassemble rapidement autour de lui alors qu’il commence à dessiner à la craie et au charbon sur le sol. Ce qui devait être un acte simple — dessiner — va se transformer contre sa volonté en acte public de résistance politique: la foule rassemblée, rapidement contrôlée par les autorités policières, n’en sera pas moins dissuadée de voir la performance jusqu’au bout. Par une astreinte rituelle, intime, Nikhil Chopra revisite le passé colonial et souligne les transformations politiques présentes et futures. Presque involontairement, l’autobiographique rejoint ici l’histoire collective; la boucle est bouclée.

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