ART | EXPO

Introspectives

23 Avr - 18 Sep 2011
Vernissage le 23 Avr 2011

Depuis plus de vingt ans, Frédérique Lucien ne cesse d'inventer la forme, de l'interroger par le trait ou l'incise, de la reproduire par l'application de grands aplats colorés, d'en explorer l'extraordinaire capacité de métamorphose par la répétition, dans un processus de lente maturation.

Frédérique Lucien
Introspectives

Si elle emprunte parfois les moyens de la peinture, c’est bien le dessin qui est au coeur du travail de Frédérique Lucien. À l’objet tableau, c’est-à-dire à la toile tendue sur châssis, elle préfère le lé de toile entaillé et simplement suspendu, les morceaux de toile découpés et rassemblés de manière aléatoire, quand elle ne peint pas directement sur le mur ses formes monochromes et échancrées. Comme chez Matisse et Ellsworth Kelly, deux de ses références en histoire de l’art, le dessin s’élabore entre figuration et abstraction, entre le modèle observé (graine, follicule, fleur ou feuille d’arbre) et la simplification de l’image. Le dessin est, jusqu’à la fin des années 1990, souvent assujetti au plan, sans profondeur ni modelé. Les oeuvres plus récentes échappent à cette règle, témoignant d’une nouvelle orientation : la matière et la forme redeviennent visibles et ne sont plus réduites au plan, à la simple surface. Tout, dans l’oeuvre de Frédérique Lucien, est organiquement lié : le spécimen naturel qui devient motif, le support choisi (papier, calque, plaque de forex ou de verre, toile peinte) qui induit une technique particulière (fusain, encre, gouache, acrylique, incision, découpe), la forme qui est déclinée en longues séries et à différentes échelles.

En contrepoint aux oeuvres de grand format, sont aussi réunis les livres, les maquettes et les dessins préparatoires ainsi que les linogravures, lithographies, bois gravés et sérigraphies. Témoignages de la poésie singulière de l’artiste, ces oeuvres obéissent aux mêmes principes de composition, jouent des mêmes oppositions entre motif et fond, entre plein et vide, entre transparence et opacité. Les sujets de Frédérique Lucien n’ont rien d’ostentatoire: des fleurs plutôt ordinaires, quelques graines et follicules, de nombreuses feuilles d’arbres…

Les sujets de Frédérique Lucien sont encore indignes parce que ce sont néanmoins de petits rebuts séduisants. Des fleurs et des bouches charnues: ce sont des images charmantes, mais il est difficile de trouver sujets plus tabous dans l’art actuel. Celui-ci joue volontiers des représentations extrêmes (pornographie et horreur) ou de la dérision (pastiches et reprises ironiques), mais le soupçon de mièvrerie demeure sans doute l’un des derniers épouvantails pour le bon goût (fût-il suffisamment madré pour se travestir en mauvais goût). La joliesse évidente des sujets de Frédérique Lucien maintient d’autant plus ses oeuvres dans une zone insaisissable qu’elles n’entrent pas dans les registres rassurants du kitsch ou de la parodie.

Frédérique Lucien refuse de choisir entre figuration et abstraction. «Cette frontière sur laquelle je suis, dit-elle, cet entre-deux, me laisse une grande liberté, me permet de rejouer librement mes choix.» L’artiste glisse insensiblement de l’un à l’autre. Cette frontière est un quasi no man’s land, relativement peu d’artistes s’y maintiennent. Généralement, elle n’est qu’un lieu de passage dans le développement d’une oeuvre. D’ailleurs, ce terrain est miné et, même si la situation s’est aujourd’hui largement détendue, l’arpenter trop longtemps expose de se voir rejeter par l’un et l’autre camp.

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