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PEmmanuel Posnic
@25 Sep 2008

Entre sphère publique et sphère privée, Mark Raidpere promène sa caméra et nous raconte le monde tel qu’il est et tel qu’il va. Avec en surimpression, le sentiment que ce monde change et qu’un désordre en chasse un autre. 

C’est la deuxième fois que la galerie Michel Rein accueille Mark Raidpere pour une exposition personnelle depuis son passage remarqué au Pavillon Estonien de Venise en 2005. En quelques vidéos, Mark Raidpere a imposé un style, une manière unique de croiser récit personnel et flux de l’Histoire.

Dans les quatre pièces qu’il présente ici, le jeune estonien reprend le vaste sujet de l’identité et le décompose en autant de séquences que de vidéos.
Avec 1; 1; 1, Mark Raidpere fait tourner devant sa caméra un vieil immigré turc en territoire grec. L’homme l’œil vif raconte son parcours, sa vie d’aujourd’hui dans le décor de sa pauvre maison familiale, laissée en friche par l’Otan à la fin des tensions régionales.
Mark Raidpere n’ajoute aucun commentaire, il laisse filer les paroles de l’homme reprise tant bien que mal par son traducteur. 1 ;1 ;1 c’est autant de personnages à l’écran et autant de retranscription des propos décousus du vieillard. Des bribes de récit donc et une «micro-histoire» qui rejoint celle partagée à travers le monde par tous les peuples et les individus en exil.

Vevovka prolonge l’observation des mutations géopolitiques contemporaines. Mark Raidpere filme le dialogue de deux hommes à l’intérieur d’un wagon à l’arrêt. Placée en caméra subjective, nous ne voyons que les allers-retours des gens qui s’affairent autour du train. Alors qu’en voix-off, les deux voyageurs livrent un discours éclairé, poétique par moments, nostalgique et désespéré à d’autres, sur l’Estonie et ses habitants.
L’un est estonien justement, l’autre russe. Deux peuples désormais séparés mais qu’un fil ténu (celui d’un parcours commun) retient. Encore une fois, derrière cette discussion impromptue, derrière ces images à la saveur presque ethnologique, Mark Raidpere aux aguets laisse tranquillement affleurer le sens.

Et ce sens, c’est par le bout de l’histoire invisible que Mark Raidpere l’obtient. En tirant habilement les ficelles de la petite histoire lorsque fatalement celle-ci rejoint la grande.
En résidence à Stockholm en 2007, Mark Raidpere réalise un film sur un musicien classique russe devenu simple artiste de rue en Suède. La collusion pourtant déjà forte, Mark Raidpere en ajoute une autre: alors qu’il tourne les images de Stockholm, il apprend qu’à Tallinn, sa ville natale, la minorité russe s’insurge contre les autorités estoniennes après que celles-ci aient programmé la destruction d’un monument pro-russe.
Le projet vidéo Majestoso Mystico est né de cette corrélation malheureuse:  un musicien russe mis au banc de la société, une minorité autrefois puissante réduite à lutter pour exister.
L’artiste y juxtapose les scènes de violences urbaines de Tallinn à celles montrant le musicien dans les rues suédoises jouant le thème du Silence des Agneaux.
Majestoso Mystico est un récit à double détente où la maigre distance qui sépare les deux événements donne une idée de la nature d’une identité qui se délite.

Avec Dedication, l’artiste se plonge dans sa propre identité. La vidéo montre ses parents adossés à une puissante armoire qui renvoie le reflet de l’artiste-cameraman. Bien que positionné côte à côte, le père et la mère s’ignorent et restent concentrés sur le silence imposé par le fils. La mère essuie quelques sourires contenus, le père dans son costume-cravate ne bronche pas. Chacun évoquera ses impressions à la fin de la séquence.
Le trio familial rejoue à peu de choses près la scène des Epoux Arnolfini de Van Eyck. Et si Mark Raidpere s’approprie le rôle de l’artiste, il est aussi la progéniture, le dénominateur commun du couple, et sa raison de perdurer malgré, l’imagine-t-on, les tensions et les conflits palpables.

Si les oeuvres de Raidpere apparaissent souvent diluées dans les rouages du reportage sociologique ou ailleurs dans l’excès de symbolisme, elles savent se concentrer sur l’objet qu’elles désignent: l’identité, nous le disions, à travers la filiation, à travers sa perte et son irrémédiable quête. Et elles le font avec une simplicité souveraine, s’arrêtant juste à temps, juste avant le commentaire. 

Mark Raidpere
— Dedication, 2008. Vidéo couleur.
— Majestoso Mystico, 2007. Vidéo couleur, projection. Tallin. 25 min 16 sec. Moniteur : Stockholm 25 min 16 sec.
— Vekovka, 2008. Vidéo couleur. 12 min 40 sec. 

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