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Interfaces et Sensorialité

Analyse des nouveaux liens induits par l’utilisation de plus en plus fréquente des interfaces, et leur rapport aux sens. Du fait de cette interactivité prégnante, se posent les questions de l’identité, du corps humain, de la bioéthique, du cyberart, de l’art transgénique, etc.

— Auteurs : Sous la direction de Louise Poissant : Annick Bureaud, Marc Boucher, Anne Cauquelin, Diana Domingues, Fabio Duarte, Hervé Fischer, Charles Halary, Eduardo Kac, Derrick de Kercklove, Ted Krueger, Michaël La Chance, Jean-Paul Longavesne, Louis-Claude Paquin, Alain Renaud-Alain, Pierre Robert, David Rokeby, David Tomas, Christian Vandendorpe
— Éditeurs : Publications de l’université de Saint-Étienne, Saint-Étienne / Presses de l’université de Québec, Québec
— Collection : Esthétique
— Année : 2003
— Format : 18,50 x 23 cm
— Illustrations : quelques, en noir et blanc
— Pages : 322
— Langue : français
— ISBN : 2-86272-292-8 (Puse) / 2-7605-1212-6 (Puq)
— Prix : 27 €

Interfaces et Sensorialité : conclusion
par Louise Poissant (p. 17)

L’intérêt pour la sensorialité surgit lorsque l’on voit se profiler le spectre du cyborg, ce mutant mi-humain mi-technologie dont le destin semble essentiellement cérébral. Le désir d’animer des sensorialités se fait ainsi sentir alors que l’on a peur de perdre la tranche humide et périssable de l’humanité. Le corps reste une source d’information et de délectation incomparable. Saveurs, couleurs et parfums lui sont associés et lorsque l’on dit que c’est dans le cerveau que tout se passe, on sait qu’il s’agit là d’un raccourci, que le plaisir de savourer une fraise des bois ne se réduit pas à une suite de stimulations cérébrales. À l’heure où chimie et sciences cognitives se rencontrent et révèlent des interconnexions de plus en plus complexes, modulant l’adaptabilité, les dispositions et les humeurs, on réalise que le corps est bien plus qu’une simple enveloppe, réceptacle de l’esprit. Il est lui-même la scène d’échanges multiples, de dispositifs de régulation et de renouvellement garantissant l’adaptation. Le développement des interfaces médiatiques permet d’ailleurs d’envisager certaines fonctionnalités du corps qui passaient inaperçues auparavant. Comme quoi nos représentations restent attachées à nos moyens de regarder. L’horloge, le mécanisme qu’on a longtemps cru le plus parfait, a inspiré le corps machine, mécanique et réglé, tout comme la cybernétique permet de concevoir un corps engagé dans une écologie systémique. Les recherches récentes en neurophysiologique et en sciences cognitives rejoignent aussi des intuitions que les artistes des arts médiatiques explorent depuis quelques décennies déjà. Et il reste encore beaucoup à faire et à dire sur ce nouveau champ qui s’ouvre aux arts.

Il est vrai que les arts médiatiques ont porté une attention particulière à la sensorialité sans doute en réaction au long purgatoire où l’art abstrait et conceptuel avaient relégué les sens, n’en privilégiant qu’un, chacun le sien en exclusivité. L’art se donnait à penser plus qu’à sentir, ou à sentir à travers le détour de maintes intellectualisations, Ce que privilégient les arts de la communication, c’est au contraire de multiplier les canaux de réception en croisant les médias. C’est aussi d’impliquer le corps du spectateur à titre d’intervenant, par le biais de l’action, faisant le pari qu’il sera plus profondément touché et rejoint par l’autre s’il s’implique et se compromet physiquement, La possibilité de s’imprégner de l’autre, de rentrer dans son monde permet de se rapprocher de lui. Surtout par le biais des sens de la proximité: sentir et toucher modifient le lien et s’ils favorisent des rapprochements et des transferts inattendus, ils rappellent que « l’autre, tout autre, est toujours quelqu’un d’immense à côté de moi » [Joseph-Louis Lebret cité par L. Avan, M. Falardeau et H.-J. Stiker, in L’Homme reparé. Artifices, victoires, défis, Paris : Gallimard, 1988, p. 42].

(Texte publié avec l’aimable autorisation des Publications de l’université de Saint-Étienne)