ART | CRITIQUE

Instant Snow

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Photographie, cinéma ou musique : c’est au médium que Snow s’attaque, pour en débusquer les propriétés spécifiques. Une œuvre toujours sur le fil du rasoir entre plate déconstruction et envolée de sens.

Michael Snow est un artiste multimédia, comme nombre d’artistes aujourd’hui. Mais si la démarche de la plupart d’entre eux consiste à choisir des médias, et des matériaux, en fonction d’une finalité, celle de Snow, pionnier en la matière, procède à l’inverse.

Que ce soit la photographie, dont il dissèque à l’envi les mécanismes de représentation, le cinéma, dont il démonte les ressorts illusionnistes, ou la musique, qu’il livre entière à l’improvisation (Snow sculpte aussi, installe et écrit), c’est au médium qu’il s’attaque, pour en débusquer les propriétés spécifiques, masquées selon lui par les usages coutumiers, dans une mise en abîme qui se voudrait ontologique.

L’exposition que le Centre national de la photographie lui avait consacré en 2000 avait montré les différentes facettes de cet acharnement sur le médium photographique. Au Centre Pompidou, où lui est rendu un hommage en triptyque — une exposition, une rétrospective intégrale des films, et des concerts—, sont exposées quelques unes des pièces les plus abouties, dont le résultat dépasse, souvent avec humour, ce travail parfois démonstratif et ingrat.

On y retrouve le fameux tapis persan (In Medias Res, 1998), au sol bien sûr, alors même qu’il est le théâtre d’une scène qui fuit vers le haut, à l’instar du perroquet s’échappant de sa cage. Le dispositif prend acte du pouvoir de compression radicale de la photographie, et frustre le spectateur du point de vue (celui du photographe en surplomb) qui lui permettrait de rétablir une illusion de profondeur, et devenir ainsi, à son tour, maître de la situation.

Sur quelques écrans disséminés dans le Centre, ce sont d’impavides moutons qui paissent, entrant puis ressortant d’un cadre fixe, également partagé entre une grasse prairie verdoyante, au premier plan, et une mer moutonnante, au second (Sheep Loop, 2000). Métaphore d’un temps qui s’écoule, indifférent aux soubresauts du monde, la séquence en boucle en devient une paisible unité de mesure, forgée sur le hasard et l’indéterminé.

A l’opposé, Observer impose une présence immédiate, et sans mémoire. L’installation intime au spectateur une prise de position dans l’espace, où il se retrouve sous l’œil d’une caméra, qui le filme en surplomb. Son image, projetée au sol, lui offre un point de vue inédit sur lui-même, dont il devient le captif, à moins de s’effacer.

L’écran de That/Cela/Dat interroge la surface de projection comme surface d’exposition. S’y succèdent des mots, dont l’enchaînement est syntaxiquement, et sémantiquement, cohérent, à cadence irrégulière, dans des dimensions, voire des couleurs, variables, et en trois langues. Soit un jeu jubilatoire avec l’expressivité picturale du texte, et du rythme, et une mise en question du sens. Celui que donne le spectateur à l’œuvre, puisque, comme on le sait, c’est à lui que revient de faire le tableau. Tableau devant lequel, nous rappelle un Snow ironiquement désabusé, il ne reste statistiquement que dix secondes.

Le cinéma et la vidéo comme moyens de le retenir ? Que voit-il alors dans l’extrait du dernier film *Corpus Callosum, fruit des expérimentations de l’artiste avec l’outil numérique ? Une logique fantasmatique aller à son terme, celle de la fusion d’un homme et d’une femme, qui se fondent en un seul bloc oscillant, à l’équilibre chancelant. A l’image de l’œuvre de Snow, toujours sur le fil du rasoir entre plate déconstruction, et envolée de sens.

Michael Snow
— Sink, 1970. 80 diapositives projetées à côté d’une photo de 63 x 64 x 1,5 cm fixée au mur.
— Midnight Blue, 1973-1974. Bois, acrylique, photographie couleur, cire. 73 x 66 x 12,5 cm.
— Egg, 1985. Hologramme sur pied. 270 x 165 x 195.
— In Medias Res, 1998. Photo couleur contrecollée sur lexan (plexiglas noir). 261,5 x 354,5 x 1 cm.
— That /Cela /Dat, 2000. Installation vidéo, 3 DVD en boucle, synchronisés, 1 écran et 2 moniteurs. 17 min.
— Sheep Loop, 2000. Installation vidéo, couleur, muet. 15 min.
— Observer, 1974-2001. Installation vidéo en circuit fermé interactive.
— Couple, 2001, 3 min (partie de *Corpus callosum).

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