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Inside Views

Extérieur nuit. Quelque part dans une métropole mondiale. Paris, Tokyo, Las Vegas.
Le paysage urbain s’offre de nuit, dans sa plus grande luxuriance, dans sa toute puissance spectaculaire. Plus lumineux que jamais, plus opulent et expansif aussi.
L’architecture souvent moderniste, de verre et de métal, structure l’image, lui offre une justification et fait rebondir le regard d’un élément à un autre, d’une baie vitrée à une infrastructure lumineuse, d’un plan obstrué à une vue dégagée de l’espace. De ce grand tout urbain, où tout va si vite, où tout semble dissout dans un flux incessant, surgit ici et là, au détour d’une fenêtre, une silhouette, le visage d’une femme, un corps étendu. L’intimité émerge soudain, fragile et solitaire.

Les photographies de Floriane de Lassée ont quelque chose de cinématographique, moins par leur côté Lost in Translation que par le savant dispositif mis en place pour leur insuffler une dose narrative. Loin d’être réalisées sur le vif, elles sont le résultat d’une mise en scène contraignante et d’un travail de repérage précis : trouver l’appartement où sera prise la photo, celui qui accueillera le modèle, convaincre les propriétaires respectifs, trouver les figurants…

Par la rigueur d’un dispositif qui implique parfois des temps de pose de dix minutes, Floriane de Lassée redécouvre la magie du procédé photographique. Elle se confronte à une véritable expérience de la durée, du processus de fixation de l’image sur la surface photosensible et retrouve ainsi, malgré la précision et la netteté du cliché, certaines dimensions primitives du médium : les corps photographiés ne résistent pas à la durée des poses et s’effacent parfois au profit d’une aura fantomatique, d’un halo évanescente.

La solitude hante les photographies de Floriane de Lassée, mais son véritable sujet semble plutôt se situer du côté de l’anonymat. En témoigne ces figures humaines perdues dans l’immensité de la ville, recluses dans leur intimité alors que tout, à l’extérieur, est en mouvement et se donne à voir. Elle interroge également l’anonymat propre à la ville, à son architecture et son urbanisme.
Qu’importe que la photographie ait été réalisée à Paris, Tokyo, Las Vegas ou Shanghai, le décor dans lequel se déploient les saynètes pourrait se situer dans n’importe quelle métropole. Floriane de Lassée ne photographie pas une ville en particulier, mais puise dans chacune d’entre elles un imaginaire commun capable de dialoguer avec ses mises en scène.

En introduisant, par une mise en scène savamment maîtrisée, l’intimité au coeur des cités modernes et en confrontant espaces privé et public, précision et flou, Floriane de Lassée réussit à se démarquer dans le registre pourtant déjà en grande partie épuisée de la photographie de nuit. 

Floriane de Lassée
Inside Views, 2007-2008. Photographie argentique. 120 x 150 cm ou 60 x 80 cm