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In pieces (en morceaux)

La pièce est intitulée In Pieces, comme si les auteurs (celui du texte qui est aussi celui de la mise en scène, Tim Etchells, et la chorégraphe-interprète Fumiyo Ikeda) avaient cherché à mettre en cause l’unité de la chose spectaculaire. Il n’en est rien : le show est d’une cohérence remarquable.

Interroger les codes de la représentation ? Excepté le dépouillement de la cage de scène exhibée telle quelle, avec, pour seuls éléments de décor, un mur en bois tout au fond, rappelant consciemment ou non le XXe anniversaire de la chute de celui de Berlin et une chaise métallique, on reste dans le quant-à-soi ou le face-à-face du théâtre à l’italienne.
Détailler le processus du travail sur planches ? Le jeu théâtral et la chorégraphie n’ont rien de spontané ou de vraiment improvisé. Tout est écrit, net et précis, millimétré.
Briser la fonction phatique dont parle Roman Jakobson, c’est à dire interrompre le principe même de communication ? Là, il semble que les auteurs aient visé juste puisque le public d’abonnés de festival, pas vraiment celui qui a pris le temps (et eu le courage !) de se former à la danse contemporaine, venu comme par hasard pour assister à une pièce narrative, représentative, industrielle, réagit mollement, frileusement, à la performance de la prodigieuse danseuse.

Que demande le peuple ? La jeune femme a beau se décarcasser toute la soirée, passer en revue toutes les facettes du jeu théâtral, faire une démo de la gestique qu’elle a mise au point durant une vingtaine d’années passées dans la compagnie Rosas, s’auto-analyser finement, bref se livrer en pâture, avec générosité, corps et âme, comme une kamikaze de la danse, une Giselle romantique, l’élue du Sacre, cela ne suffit pas à convertir les touristes en goguette à Bastille à la danse actuelle.

Pour ce qui est du théâtre, on peut en effet rester sur sa faim, la pièce n’étant, en fin de compte, qu’un remake ou une variante diluée de la tirade du nez de Cyrano que tout le monde connaît par cœur de ce côté-ci des Ardennes. Mais on échappe au moins à toute velléité de cabotinage. Car Fumiyo Ikeda joue, bel et bien, par moments en tout cas, son propre rôle. Sa peau. Sa face. Elle donne l’impression de développer et d’approfondir le travail déjà entrepris en 1988 dans le fameux monologue d’Ottone Ottone de Teresa de Keersmaeker.

Tanztheater oder Theatertanz ? Das ist die Frage… Les deux, sans doute, mon capitaine. Certains passages du solo de Fumiyo Ikeda, à base de petits gestes obsessifs, d’ondulations suggestives, de brusques sautes d’humeur, de preuves d’auto-dérision d’une incroyable légèreté, d’accents tragi-comiques, d’essais de fusion ou de canon musique-texte, de manières pantomimiques appuyées, rappellent en passant les emprunts de la compagnie Rosas à la danse d’expression wuppertalienne.

La collaboration entre le metteur en scène Tim Etchells et la chorégraphe Fumiyo Ikeda a sans doute eu lieu en studio, et autour d’une table, devant un chevalet de conférencier ou un de ces tableaux en liège sur lesquels on punaise les feuillets d’un chemin de fer. Les exercices de créativité et les séances de brainstorming ont permis de recueillir une quantité impressionnante d’idées, de thèmes, de trouvailles visuelles, de tâches à accomplir, à mimer ou, au moins, à remémorer.

Malgré quelques défauts — le fameux quart d’heure de trop, le fond musical conformiste uniquement à base de classique occidental, la linéarité de la soirée ou le côté systématique d’une mise en scène alternant danse, pantomime et liste des commissions—, la pièce est du niveau international. Il convient de remarquer à ce propos que Fumiyo Ikeda a la politesse rare de s’adresser à nous en français ! La danse est d’une qualité technique et expressive difficilement dépassables. Qui plus est, la chorégraphe, qui ne cesse de se bonifier avec le temps, est d’un chic inouï dans sa robe minimaliste ocre brun dessinée par Ann Weckx.

Durée : 1h15


— Direction et texte : Tim Etchells

— Création et jeu : Fumiyo Ikeda

— Lumière : Nigel Edwards

— Décors : Richard Lowdon

— Costumes : Ann Weckx
— Traduction et surtitrage : Denise Luccioni

— Réalisation technique : Peter Fol