ART | CRITIQUE

Il disparut dans le silence total

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Deux grandes œuvres de deux figures majeures de l’art des deux dernières décennies : Precious Liquid de Louise Bourgeois et L’Ange Rouge de James Lee Byars. Deux monumentales machines sensibles qui évoquent la circulation de fluides vitaux — sang et eau.

Deux grandes œuvres, au moins par leurs dimensions, de deux figures majeures de l’art des deux dernières décennies. Deux œuvres parfaitement contemporaines puisque Precious Liquid avait été présentée à la IXe Documenta de Kassel en 1992, et L’Ange Rouge produite à Marseille entre 1991 et 1993. Deux monumentales machines sensibles, dont l’agencement respectif des matériaux, ou des modules, évoque la circulation de fluides vitaux — sang et eau.
Pourtant le titre de l’exposition qui les réunit suggère, lui, la disparition, la mort, de l’artiste peut-être (Byars est décédé en 1997), ou bien du père, ou du mari (figures honnies par Louise Bourgeois). L’énigme demeure. Que voit-on en réalité ? Deux œuvres, que leurs formes, au-delà de tous ces rapprochements possibles, opposent ostensiblement.

L’Ange est à terre. Mille boules de verre rouge juxtaposées en dessinent les contours, ou le spectre. Soit un vaste motif rigoureusement symétrique, qui se déploie, de part et d’autre d’un axe d’une parfaite rectitude, en larges volutes façon Art nouveau, et prolifère en arabesques, dont le caractère végétal contraste avec ce rouge sanguin, démultiplié par l’éclat de ses reflets au sol.
Mais le spectateur est maintenu au seuil de l’œuvre, qui emplit l’intégralité de l’espace d’exposition. Du coup, cette magnificence en quête de perfection, entre le glacis des perles et le bouillonnement carmin, se fige. Comme interdite.

De l’autre côté d’une mince cloison, au centre d’un espace identique, se dresse l’un de ces grands cylindres de bois, qui servaient, il y a encore peu, de réserves d’eau sur les toits new-yorkais. Ici il enveloppe l’installation de Louise Bourgeois.
Le cerclage métallique supérieur de la cuve porte cette devise magnifique : « Art is the guarantee of sanity ». L’art comme thérapie, comme travail auto-réflexif, qui préserve de la folie, et, qui sait, de la mort. Là où L’Ange Rouge est tout d’extériorité impénétrable, Precious Liquid invite au recueillement, au pied d’un lit métallique, dont le sommier a été remplacé par une plaque de zinc incurvée, munie d’une évacuation. Un reste d’eau stagne en ce creux.
Quatre montants, métalliques eux aussi, qui évoquent des portiques à perfusion, supportent une nuée de récipients de verre, évidés de leur fond. Incohérence lumineuse d’une vision onirique, et pourtant quelque chose opère. Une veilleuse-chauffeuse, aux rassurantes formes mammaires, irradie une douce lueur au sol. Deux paires de gros billots de bois sphériques renvoient à une symbolique mystérieuse. Dans l’ombre, un grand manteau noir d’homme recouvre sur un cintre une petite robe blanche, sur laquelle sont brodés ces deux faux amis « Merci Mercy ». Merci Pitié. Un oxymore camouflé qui dit la béance ouverte par l’ambiguïté de la nature même de ce précieux liquide : élixir de vie ou humeur morbide ?

Louise Bourgeois
— Precious Liquid, 1992. Installation : bois de cèdre, métal, verre, albâtre, tissu, broderies, eau.

James Lee Byars
— L’Ange Rouge de Marseille, 1993. Installation : 1000 boules en verre plein de couleur rouge, disposées selon un schéma fixe. 11 x 1100 x 900 cm

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