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If I Can Dream

PLaurent Perbos
@12 Jan 2008

Pour sa première exposition à la galerie Yvon Lambert, Walter Dahn présente un large ensemble de tableaux réunis sous le titre «If I Can Dream». La diversité des supports utilisés répond à une multitude d’image sortie tout droit de l’imagination de l’artiste. Par de multiples confrontations d’iconographies inattendues, il ouvre un large champ de possibles qui nourrit une poétique du langage amusante, intrigante et pleine de délicatesse.

Regard inquiet, interrogateur: accrochés au mur de gauche de la première salle, deux yeux surgissent de l’obscurité picturale d’un premier tableau. Le visage que l’on devine est simplifié à l’extrême. L’ouverture horizontale, ovale, qui se dessine sous ces deux orbites pourrait faire office de bouche ouverte. Béante et pourtant muette, elle laisse échapper un cri inaudible, emprisonné dans la noirceur du reste de la surface. Cette figure semble être le réceptacle des images qui vont suivre.

«If I Can Dream» s’ouvre comme une boîte de Pandore et nous livre les extraits d’un sommeil hypothétique ou de désirs inespérés. Peinture suivante: un format allongé à dominante rouge présente des dégoulinures blanchâtres qui soulignent les dimensions de la composition. Une forme incertaine émerge du second plan et peut être assimilée à une guillotine. Le couperet est tombé. L’artiste va trancher dans le vif d’une réalité qui lui est propre.

«My Aim Is True » imprimé en majuscules vertes dans deux cadres de la première salle nous confronte dès le départ à une énigme. De quel but s’agit-il? Vers où l’artiste compte-t-il nous conduire? Ce secret fait écho aux sculptures disposées ça et là dans l’espace de la galerie. Un objet est enveloppé dans un plastique vert qui nous empêche de deviner son identité. Des bocaux renfermant des fleurs séchées, des morceaux de branches ou de racines sont posés dans trois coins de la pièce voisine, sans que l’on sache le but de cette intervention, ou le lien qui s’opère avec le reste de l’exposition.

Walter Dahn a commencé à s’interroger sur la peinture comme support et sur les différentes techniques d’expressions dès le milieu des années 80. Il nous offre ici une multitude d’expérimentations. Papiers et tissus aux textures et aux motifs divers et colorés vont se succéder pour nous raconter quelques anecdotes.

Deux petits personnages enfantins, maladroitement dessinés, se présentent sur un fond de toile blanche à pois rouges. Ce graphisme saccadé se retrouve à plusieurs reprises tout au long de l’exposition. Individus étrangement esquissés ou éléphant stylisé dans un cadre voisin, ces caricatures font sourire.

L’animal est présent dans d’autres productions. Un peu plus loin par exemple. Une tache, qui semble être le résultat d’une test de Rorschach, donne libre cours à plusieurs interprétations. Ce qui pourrait apparaître au premier abord comme un poumon, devient à bien y regarder, la silhouette d’une tête éléphantesque, vue de face. Symbole de sagesse, de pérennité? Cette figure récurrente renvoie à une autre culture, à d’autres continents. Traitée de manière plus réaliste, on la retrouve incarnée dans des clichés photographiques en noir et blanc. Monture pour cornac, la bête s’engouffre dans des contrées inconnues et disparaît dans la texture des matériaux utilisés par l’artiste.

Fragments de journaux, de magazines: Walter Dahn utilise des photographies qu’il imprime en laissant apparaître, et parfois même en exagérant, la trame qui les constitue. Les morceaux de phrases collés et associés à ces images deviennent des contrepoints humoristiques et grinçants. Un couple de bourgeois du XVIIIe siècle prend la pose et se voit affublé d’une étiquette commerciale «Nice Price» et d’une phrase qui résonne comme une sentence prémonitoire: «The Harder They Come». Refrain d’une chanson de Jimmy Cliff, The Harder They Come The Harder They Fall, ce clin d’oeil nous rappelle que Walter Dahn s’est longuement impliqué dans la musique. Il en va de même pour le vieil haut-parleur abandonné dans coin de la salle ou encore la bouteille transparente qui trône à l’entrée de la galerie.

Retour aux travaux bi-dimensionnels dans la grande verrière: à côté de ces portraits d’une autre époque, une silhouette verte au contour flou se détache sur un tissu translucide, teinté en rouge. Un autocollant, point d’exclamation jaune vif, surplombe le personnage amputé de la majeure partie de son corps. Une bande de papier est collée en bas à gauche: «Another Invented Diseas ». Contre quelle maladie l’artiste essaie-t-il de nous mettre en garde? L’emploi de deux couleurs complémentaires met en scène un contraste fort et crée une résonance particulière, sourde. Le châssis se dessine en transparence. Un sentiment fort se dégage de cette toile qui laisse voir ses entrailles, le cadre qui la supporte, le revers de sa médaille.

Plus loin encore, une autre composition sur un même support diaphane, blanc. Sur une carte des États-Unis simplement dessinée au trait, Walter Dahn pointe du doigt un Etat du Sud. Évoquant ainsi les villes d’Atlanta, de Memphis et de Tupelo, il fait référence à son voyage sur les traces de Walker Evans, vers le milieu des années 90. Ce dernier avait effectué une série de clichés légendaires, montrant les conditions de vie de la population rurale américaine. Préservant la dignité humaine malmenée par la misère, l’objectif du photographe avait saisi des portraits édifiants. Dahn désigne ces régions et inscrit au bout d’une flèche «I Came to Bring You Pain». Nous laissant là dans l’expectative, accroché à cette phrase, il nous entraîne dans son univers, sans nous dévoiler l’issue de ce mystère.

Trois carrés blancs se succèdent ensuite et affichent un texte difficile à déchiffrer. Ratures et biffures brouillent les mots couchés sur le papier. Ces indications ne semblent pas nous être destinées. Parodies d’un témoignage, elles constituent davantage les traces factices du passage de l’artiste. Elles alimentent ainsi le sentiment d’étrangeté déjà présent. Enfin, l’illustration qui suit ces trois pages d’écriture démesurées fait sans doute office d’hommage. Un vieil appareil photographique et une palette de peintre pourvus de deux jambes se promènent bras dessus bras dessous. Cette image fantastique fait référence au photographe précédemment cité mais peut-être aussi à la longue collaboration que Walter Dahn a longtemps menée avec Philip Pocock.

Ces mélanges de motifs et de documents iconographiques, dont se dégagent parfois une certaine nostalgie, une douceur amusée ou un mystère inquiétant, nous portent peu à peu vers la sortie. La rencontre semble avoir été trop brève. L’envie de déambuler à nouveau devant ces instants colorés et riches se fait déjà ressentir. Une impression persiste, celle de ne pas avoir fini de faire connaissance.

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