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I love 104

Etrange chorégraphie en effet, que ce display laqué blanc de produits dérivés façon boutique de musée, documentant l’histoire de la pompe (désormais le Cent quatre), et dont le socle ressemble étonnamment… à une stèle.

La boutique I love 104 est assez surélevée pour ne pas se laisser appréhender comme telle. Pour autant, ce n’est pas non plus sa forme funéraire qui l’emporte. Bien que l’esthétique marchande frappe d’emblée, allez savoir si Adrien Rovero avait l’intention d’ironiser sur l’identité iconophage du nouveau 104, qui fait des archives de l’ancien un arrangeant négoce culturel, ou de donner forme à la charge mortuaire d’un magasin de souvenirs. Les deux, mon général ! Là réside la subtilité de cette petite affaire, suspendue comme ses t-shirts sérigraphiés à l’effigie d’urnes et de cercueils, entre mémoire et contemporanéité, singularité historique et uniformisation.

Les quatre types de produits exposés sont des cartes postales, des mugs, des t-shirts et des DVD. Seuls les derniers de la liste sont disponibles à la consommation immédiate des documents qu’ils donnent à voir. C’est en dépassant leur présentoir qu’on découvre l’envers de ce véritable montage : un dispositif marchand aux allures de monument.
Ne pouvant accéder à son plateau immaculé, les visiteurs doivent « défiler » autour des objets cultuels qui y sont disposés. Une conduite  cérémonielle qui invite à la lecture plus qu’au désir d’achat, à la procession plus qu’à la possession. D’autant que les deux présentoirs à t-shirts dessinent un aller-retour au bord de la dalle, comme s’ils marchaient au pas. On remarque aussi, après examen, que les mugs forment une série narrative : leur alignement sur l’étagère décompose le rituel d’enterrement selon les étapes de l’antique procédure. Un déroulé qui en rétablit la temporalité, du constat de décès à la mise en bière.

A l’intérieur de cet atelier permanent, on ne doute pas d’une certaine circulation au passage des visiteurs, mais qui tourne vite en vase clos ! Attention, il ne s’agit pas de dévaloriser la tautologie de l’installation, qui nous paraît être un gage d’habileté plus que de pauvreté conceptuelle. D’aucuns passent trop vite devant ce travail qu’ils jugent abscons s’ils ne prennent garde à l’intransitivité de ses objets, impropres à l’usage. Cousus à l’emmanchure, les t-shirts ressemblent à des housses stériles ; les mugs ont une forme pleine et sont dépourvus de anse ; et les cartes postales sont des plaques transparentes d’un cm d’épaisseur, préservant de l’oubli un document aux couleurs passées.

A la fois résiduels et précieux, ces souvenirs sont des poches d’improductivité dont la réserve d’énergie interroge l’héritage du 104. Adrien Rovero met en scène trois séries d’objets uniques. En cela, il suscite moins la critique d’une consommation des images du passé, que le réveil du symbole d’égalité du Service municipal des pompes funèbres. Ce spécimen d’idéal républicain assurait à chacun une cérémonie selon ses moyens. I love 104  travaille aujourd’hui, à travers une réflexion muséographique, à lier sa destination à l’activité initiale du site. C’est pourquoi il flirte avec une esthétique marketing (blanc uniforme, cintres estampillés du logo). L’identité visuelle de l’institution est confrontée au traitement d’archives dont la mémoire évoque une préoccupation sociale toute aussi chère à la direction actuelle. Cohabitation de tous les arts, ouverture des ateliers et insertion dans la vie du quartier sont l’écho présent du SMPF : coexistence des corps de métiers, protocole égalitaire, communauté festive des travailleurs.

Bastion du souci hygiéniste de l’époque, mais nimbées du mystère de la mort, les pompes funèbres ont toujours suscité fascination et dégoût. Le 104 se doit de conserver cette identité hybride qu’Adrien Rovero augmente avec son installation. Doucement nostalgique, elle prête à sourire de la tendre dignité des employés de la pompe. Elle nous invite à en savoir plus sur la rue d’Aubervilliers, et à vivre plus en son sein.
 

Adrien Rovero
I love 104, 2008-2009. Installation dans l’atelier 0 du Cent quatre.