ART | CRITIQUE

I learned it from a talk show

Artus pour l’art posthume. Un bazar. Artus retrace sa vie dans la galerie au travers d’une centaine d’objets en tous genres lui appartenant. Sa chambre est également reconstituée, grandeur nature. Quant au sens...

Photos, dessins, illustrations, livres, baskets, plus une voix exaspérante chantonnant en boucle accueillent le visiteur.Que voit-on encore? Des photos oscillant entre trivialité et scatologie — un homme déguisé en porc, un autre qui défèque —, une basket encadrée de bois, un tas de vieilles baskets, des images et une peinture pornographiques, un téléphone portable…

La partie principale de l’exposition est la reconstitution de la chambre même d’Artus: le lit, le bureau, les étagères, les livres, les photos personnelles, et d’innombrables canettes de Coca qui jonchent le sol. On y trouve aussi une collection de skates, puisque Artus a été à l’origine du magazine Tricks destiné aux fans de skateboard.

Quant au sens, il est à chercher derrière cette affirmation selon laquelle «l’Art posthume encule l’Art contemporain», dans le manifeste de l’«Art posthume», rédigé par l’artiste (lire ci-après).

Morceaux choisis:
— «Le courage de ne rien être, personne ne l’a jamais».
— «L’authenticité, d’aussi mauvais goût soit-elle, finit toujours par payer».
— etc.

Et si, en ces temps incertains et chamboulés, le paroxysme de l’authenticité était tout simplement la Beauté?

Manifeste de l’Art posthume
Ne vous attendez à rien
Attendez tout

Selon le dictionnaire le plus commun, l’art, c’est «l’expression d’un idéal de beauté dans les œuvres humaines».
Nous nions cette définition que nous trouvons insuffisante en l’état.
L’art, c’est un environnement et une sensibilité, l’art c’est la vie. Votre vie, votre environnement, votre sensibilité.
L’art, c’est donner forme à l’espace qui nous sépare.
L’art est politique.

Depuis le carré de Malevitch l’art est, et, devant lui, «c’est une foule curieuse de critiques d’art instantané qui se presse à la traversée du miroir».
L’art est donc le seul domaine qui ait atteint son absolu, c’est-à-dire le domaine de la création pure. Le seul domaine où l’homme peut se vanter d’être l’égal d’un dieu, et où il peut créer librement, et sans contraintes.

Pourtant l’homme n’est rien sans le regard de l’autre. Cet autre qui juge, condamne, ratisse.
Seul dieu juge.
Et c’est pourquoi nous affirmons nous moquer de cet art sectaire et académique qui est le vôtre. Celui que vous nommez «contemporain».
Il n’a de contemporain que son marasme.
En ce jour brillant, nous décrétons la mort de l’«art contemporain» en terme d’époque de l’art, de mouvement, et l’avènement de l’«art posthume». L’art-vie.
«Il faut être un homme vivant et un artiste posthume».
Car «l’après-fin de l’art» ne peut-être ni moderne, ni contemporaine, mais posthume : «née après la mort de son père».

L’artiste posthume ne dispose pas, il propose.
Non, «Dieu n’est pas détrôné».
Ainsi :
De même que l’homme ne s’exprime jamais que dans ses contradictions les plus profondes, ce sont nos prétentions qui font de nous ce que nous sommes.

L’«art posthume» ne se justifie pas. Il n’a rien à prouver.
Nous préférons laisser l’art aux artistes qui le méritent, et vivre.
Mieux vaut vivre que de faire de l’art.
L’art est une conséquence, non un but.
Il est grand temps de tirer les leçons de l’histoire, et de dépasser ces notions obsolètes que sont : le talent, la nouveauté, et le génie. Ils ralentissent.
Si tout a déjà été dit, fait, et pensé, nous n’aurons aucune honte à redire, refaire, et repenser ce qui ne l’a pas été assez.

Imiter nos pères pour mieux les dépasser n’est que justice leur rendre.
Être multiple et agir dans tous les domaines nous permet de nous imaginer libre.
Nous affûtons paraît-il déjà les couteaux qui nous tueront plus tard.
Conscience du support et souci du détail valent bien chronologie et rétrospective dans le travail d’identification sociale de l’artiste.
Notre identité n’a que faire de vos peurs.
La réalité de nos faire est notre meilleure justification.
Il faut penser plus large et prendre en charge notre propre système de diffusion.

Nous rêvons de nouveaux lieux où les mannequins, les journalistes, et les artistes, iraient se faire voir.
Créer des lieux de vie plutôt que des lieux d’art.
«J’erre sans but et devenir parce que je suis déjà, par le seul pouvoir de ma volonté».
Rien n’existe sans faire valoir, dit-on.
Le mannequin est le plus beau faire-valoir de notre époque, c’est une pute qu’on ne peut pas baiser. Nous sommes fatigués de ces madones rachitiques pour pédophiles patentés.
Il n’y a pas plus d’intérêt à décréter art qu’à décréter artiste.

Intéressé veut dire intéressant.
L’«art posthume» est le miroir de son temps.
What you see is what you get.
Loft-story ne nous plaît qu’en tant que mise en pratique des 15 mn de gloire de Warhol.
Nous chions à la gueule du succès.
Si «tout le monde peut le faire», tout le monde doit le faire.
Il ne faut pas faire pour être. Il faut être pour être.
Le courage de ne rien être, personne ne l’a jamais.
Si l’on doit un jour être connu pour et par son œuvre, cela sous-entend qu’on lira forcément cette dernière à la lumière de notre vie, et donc l’application d’une éthique stricte dans l’une comme dans l’autre.

Nos valeurs ne sont pas artistiques mais humaines.
L’intégrité, l’humilité, la fidélité et le respect, sont à l’amour, l’amitié et l’estime ce que sont la liberté, l’égalité, et la fraternité, aux Français, une hypocrisie de plus à laquelle nous aimerions bien croire.
Rien n’est gratuit, ni un hasard.
Notre rancune se doit d’être tenace car pardonner, c’est déjà être supérieur.
La réussite, c’est le masque de la société.
En amour, nous choisirons toujours la pornographie à l’érotisme, elle a plus de réalité.
La pornographie, c’est ce qu’on fait des choses.

C’est vivant que nous sommes, et vivants que nous voulons être aimés.
Notre paresse nous pousse à préférer l’amateurisme au professionnalisme du rien. Il y a une raison à ça.
«La paresse est la vérité effective de l’homme».
Le travail n’est acceptable qu’extrême, car travailler, c’est se retirer de la vie.
Le métier, c’est le savoir-faire de l’artiste qui va travailler un attaché-caisse dans le cerveau, et un chèque dans la poche.
Nous n’acceptons le métier que dans le cadre de l’erreur qu’il représente, en particulier comme en général.
L’acte d’amour est plus important que la jouissance, c’est pourquoi, dans notre système de pensée, la femme aura toujours plus de poids que l’œuvre qu’elle a inspirée.
Dans les musées, nous préférons regarder les femmes que les peintures.

En art, comme dans la vie, on a besoin de vérité, pas de sincérité.
L’éthique gifle la morale comme la foi se doit de vomir l’espoir, ils ne sont pas compatibles.
Vos doutes ne sont pas les nôtres.
Nous n’avons que cette certitude que vous nommez égoïsme.
L’égoïsme (au même titre que l’individualisme, le dadaïsme, le situationnisme, ou n’importe quel « isme ») ne vaut que s’il est partagé.

À l’imitation, nous préférons l’original. Il vend mieux!
Ainsi nous préférerons Coca à Pepsi, le tatouage au body art, les tricheurs aux menteurs, Elle à Art Press, et Hustler à Purple, ils avancent à visage découvert.
L’authenticité, d’aussi mauvais goût soit-elle, finit toujours par payer.
Nous croyons au mauvais goût du public dans la durée. Lui seul à une chance de changer le monde.
Il faut s’assumer tel qu’on est avant de vouloir changer le monde.

Cette société du spectacle qui est la vôtre ne nous intéresse que dans la mesure où elle nous fait perdre notre temps.
«Perdre son temps est aujourd’hui la seule façon d’être libre».
«Il faut donner du sens au sens».
«Être invisible est l’unique alternative qui soit laissée à l’art posthume pour lutter contre la société du spectacle».
Nous ne serons invisibles que pour mieux vous aveugler.
«L’art posthume est notre anti-matière comme la matière fait l’art contemporain».

Prêcher à des convertis ne peut être que le sacerdoce du faible.
«La seule tyrannie qui existe est celle du faible sur le fort».
À côté de vos églises, ce sont des bordels gratuits que nous construirons, ainsi les gens pourront-ils choisir.
Nous créons par amour de la vie, pas par peur de la mort.
Du minuscule Palais de Tokyo, nous n’aimons que l’architecture qui a au moins le mérite d’être skatable, et donc utile.
L’«art posthume» nique l’esthétique relationnelle, à qui nous reconnaissons quand même, dans notre infinie bonté, le droit à l’existence.
Nous ne croyons pas plus à ces artistes qui ne peignent que pour eux-mêmes et dans leurs caves, le pantalon plein de peinture, qu’aux artistes dits «contemporains».
Nous préférons pourtant nous vendre à vendre notre travail.
L’artiste posthume étant forcément un grand homme, c’est aux grands musées que nous destinons notre œuvre, notre vie.
Les grands musées seuls séduisent le public.
C’est au musée de venir à nous, pas à nous d’aller au musée.
La reconnaissance ne vaut que par son caractère légitimant.
La reconnaissance ne vaut rien.

Personne ne peut, de toute manière, se targuer d’être le spectateur moyen de son époque.
L’artiste reconnu ne pose que le problème de la reconnaissance de même que «les précurseurs n’ont que la chance d’être nés avant».
Nous n’avons d’absolu que notre branlardise.
Car nous sommes :
— Les fils de vos putes, de vos pds, de vos patrons et de vos jardiniers.
— L’air de votre air
— La liberté de votre liberté
— Le mépris de votre mépris
— Nous-mêmes.

L’«art posthume» encule l’«art contemporain».
L’art, c’est la vie.
Notre vie, à nulle autre pareille.
S’en revendique qui veut.
Volenti non fit injura.
Gloria victis.

Artus pour l’«art posthume».
Aleksi, Anna Artus, Daniele Édouard, Paris-Ernée
15-26 août 2004.

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