ART | EXPO

Hors sol

12 Fév - 14 Mai 2016
Vernissage le 11 Fév 2016

En 1965, la fusée Diamant s’élançait depuis la base de lancement à Hammaguir en Algérie, une date qui a marqué l’avènement de l’indépendance spatiale française. Cinquante ans plus tard, l’Observatoire de l’Espace a proposé à des artistes d’associer création et archives pour aborder cette mémoire et les questions contemporaines qu’elle soulevait.

Paolo Codeluppi & Kristina Solomoukha, Kapwani Kiwanga, Nicolas Milhé, Bruno Petremann, Slimane Raïs, Erwan Venn, Fabien Zocco
Hors sol

Il y a cinquante ans, la France militaire, scientifique et technologique du général de Gaulle atteignait l’objectif qu’elle s’était fixé: l’indépendance spatiale. Le 26 novembre 1965, le lanceur Diamant parvenait à placer en orbite le satellite A1 depuis le pas de tir Brigitte de la base de lancement d’Hammaguir, en Algérie. Les documents d’archive et les objets patrimoniaux rendus accessibles aux artistes et aux publics par l’Observatoire de L‘Espace dans le cadre de ce projet témoignent d’un émouvant archaïsme des technologies d’alors pourtant toutes mobilisées vers un objectif ambitieux.

Computer, œuvre créée spécifiquement par Paolo Codeluppi et Kristina Solomoukha traduit la table rase du désert algérien ponctuée des frustes infrastructures vouées au programme spatial français, et le minimalisme fonctionnaliste de chaque appareil, de chaque édifice au service de cette cause. Computer symbolise également l’organisation des savoirs, l’agencement de la pensée dans une perspective atemporelle et universelle: schéma que l’on retrouverait aussi bien comme représentation algorithmique sur l’écran d’un scientifique contemporain que comme théorie cosmogonique peinte sur une poterie berbère.

Erwan Venn qui, lorsqu’il ne corrige pas, par ses œuvres, la geste familiale s’emploie à revisiter son enfance et la culture populaire des Trente Glorieuses, a été particulièrement sensible à l’esthétique des dessins techniques, des équipements mais aussi des discours qui forment le décorum des débuts de l’aventure spatiale française. Accompagné de beaux dessins aux allures de posters, le papier peint sonore et animé qu’il a créé spécifiquement et joyeusement intitulé A la conquête de l’espace! propose une exploitation ornementale et domestique des archives du CNES. L’artiste nous rappelle ce faisant combien ce qu’on appelait alors volontiers la «conquête spatiale» symbolisait la puissance d’une société, la sophistication de sa technologie et nourrissait un imaginaire progressiste s’incarnant dans la vie quotidienne par la forme donnée aux objets (les ailerons d’une 404, le fuselage d’une DS, le lamé d’une mini-jupe).

Bruno Petremann, dont les sculptures lisses, brillantes et colorées commentent autant le goût commun pour le clinquant que la démagogie d’un design omniprésent, a pris le parti, inhabituel pour lui qui est plutôt sculpteur, de proposer une image. Hammaguir, Kourou, Cap Canaveral, Baïkonour… Algérie, Guyane, Floride, Kazakhstan: Bruno Petremann a considéré que les principales bases de lancement de véhicules spatiaux, au milieu d’un désert, dans la forêt tropicale, au bord de l’océan ou perdue dans de lointaines steppes, désignaient déjà l’Ailleurs. Exotisme statique des épopées spatiales. Fantasmant un paysage extraterrestre à partir d’une photographie austère du désert d’Hammaguir, voyageant ainsi par l’acuité du regard et la force de l’imagination, l’artiste rend comme vaine l’entreprise spatiale. La saturant des vigoureuses couleurs du psychédélisme d’époque qui teintent aussi étonnamment les icônes produites par l’imagerie scientifique, l’agrandissant, la figeant en un relief galbé et brillant, Bruno Petremann réifie encore son image en lui adjoignant un long cylindre. Cette liaison au sol évoque explicitement la fusée Diamant et traduit prosaïquement cette gravité que tout corps doit contrer pour s’élever. Du désert, Diamant s’en va.

La plupart des photographies documentant la base d’Hammaguir s’appesantissent évidemment sur les équipements technologiques et sur les hommes au travail. Slimane Raïs s’est cependant inspiré d’une des rares images témoignant des loisirs accessibles sur le site. On y voit un écran de cinéma en plein air face à des rangées de chaises. L’installation est photographiée de jour. L’écran est blanc et les chaises sont vides. Slimane Raïs, dont les œuvres établissent habituellement des liens interculturels et interpersonnels, s’est emparé de ce suspens. Son installation assimile l’écran à la page blanche d’une lettre de rupture amoureuse sur laquelle seule l’entame, «Chère Brigitte» en arabe, brille en calligraphie de néon. La lettre est lue en arabe et en français au creux de l’oreille des visiteurs. Alors que toutes les installations de la base d’Hammaguir concouraient à quitter la Terre, la France devait se résoudre à l’indépendance de l’Algérie. Cette œuvre sentimentale vient souligner la nature affective et tourmentée de la relation franco-algérienne.

Les archives et les articles de presse en particulier, contextualisent politiquement dans la Guerre Froide et sur le terrain de la compétition américano-soviétique l’événement du lancement réussi d’Astérix par Diamant. Rien n’est en revanche explicitement dit du contexte tout récemment postcolonial – donc encore absolument colonial – de cette opération qui, pourtant localisée en Algérie, semble menée hors sol. S’il était demandé à l’opinion publique de percevoir cet événement comme une première acmé de la marche française vers l’indépendance spatiale, il nous est aussi donné d’y voir un dernier baroud de l’histoire coloniale française en Algérie devenue indépendante. Flowers for Africa: Algeria, œuvre de Kapwani Kiwanga, commente sous la forme d’une poignante vanité le temps de l’émancipation politique nationale et en actualise le désenchantement alors que son installation Stardust Archives ou la performance Afrogalactica: un abrégé du futur qu’elle donnera dans le cadre de l’exposition, recourent à la culture Afrofuturiste pour envisager les Etats-Unis d’Afrique en puissance spatiale.

C’est par le truchement d’immenses miroirs équipant leurs télescopes que les astronomes propulsent leur regard dans l’espace et remontent le temps de l’univers. De miroirs, de jeux de regards et de figures célestes il est aussi question dans la série «Constellations» de Nicolas Milhé. On peut considérer que Le Centaure et La Vierge, présentés dans cette exposition, commentent la façon qu’ont eu les hommes d’appréhender la voûte céleste, mieux, de se l’approprier, en la peuplant de figures mythologiques et signifiantes. On peut également envisager ces œuvres analysant l’espace, notre environnement omniprésent et inaccessible, comme un miroir infini renvoyant irrémédiablement l’homme à lui-même, à sa solitude et à ses limites. Remarquant que les figures de constellations sont obtenues par l’agencement de judas criblant le miroir, on comprendra que ces œuvres ne dérogent pas à l’attention que Nicolas Milhé porte toujours à la chose politique et à l’expression du pouvoir.

Un sentier et une étoile partagent le même nom, une zone commerciale et un soleil sont homonymes, un même toponyme désigne un quartier pavillonnaire et une constellation… From The Sky To The Earth, oeuvre de Fabien Zocco qui associe selon ce principe plusieurs centaines de dénominations astronomiques à autant de lieux terrestres, montre s’il était besoin combien nommer c’est s’approprier. Exploitant les vues standards de Google Earth en mode Street View et offrant ainsi au spectateur un voyage immobile et aléatoire au travers de paysages quelconques, cette oeuvre suggère l’hypothèse d’un lien privilégié et mystérieux entre chaque lieu et son pendant extraterrestre. Ambiguë, elle peut aussi bien amorcer par chacune de ses images de lieux jumelés par leur nom, une fiction de l’identité de mondes multiples.

Alexandre Bohn, directeur du Frac Poitou-Charentes, décembre 2015

Exposition conçue en partenariat avec l’Observatoire de l’Espace, le laboratoire arts-sciences du Centre National d’Etudes Spatiales

AUTRES EVENEMENTS ART