PHOTO | CRITIQUE

Horizons

PAnaïs Lepage
@29 Mar 2010

Une ligne d’horizon issue de deux paysages, l’un maritime, l’autre terrestre ; deux photographies qui ne font qu’une au service de la ligne, ou qui la malmènent. Et, toutes les œuvres suivantes. Une exposition intelligente et subtile autour du motif de l’horizon dans les photographies de Jan Dibbets.

De l’horizon comme promesse romantique d’échapper à soi-même par la contemplation, Jan Dibbets retient la ligne qui met en jeu celui qui la regarde, cette limite illusoire entre deux étendues qui est aussi la limite de la vision.
Pour lui l’horizon devient une forme abstraite, où la ligne d’horizon est un élément plastique à part entière et qui n’existe que par l’opposition et l’association de photographies de mers ou de plaines à perte de vue, ou par le contraste des couleurs entre deux surfaces.

Une grande proximité formelle unit les photographies réalisées entre 1969 et 1974 et celles de la fin des années 2000. Durant ces deux périodes de création, l’horizon est un motif omniprésent, mouvant et autorisant toutes les expérimentations. Une habile mise en regard des œuvres restitue ces tentatives, préférant le jeu des correspondances esthétiques à la classification historique.

Quelques photographies nous initient au vocabulaire formel de Jan Dibbets: il faut s’habituer, distinguer et apprendre à voir. Le cadrage carré, l’assemblage de deux paysages maritimes et terrestres liés par une ligne d’horizon continue et la présence de schémas au crayon à papier dans Sectio Aurea constituent les éléments de base de ses compositions.

Les photographies peuvent ensuite former des figures géométriques comme dans la série des New Horizons, ou être déclinées en une double frise montrant la progression de la surface de ciel sur la surface de terre, et vice versa dans Horizon Up and Down (Land). Sorte de carnet d’horizons ciel et mers, Fives Island Trips (Works for Siegelaub’s Summershow) révèle la part la plus conceptuelle de son travail. Jan Dibbets expose tous les éléments factuels d’un voyage dans les îles: une carte géographique, les horaires de ses trajets et six photographies de mers à la portée presque documentaire.

Plus loin d’autres compositions oscillent entre construction et déconstruction de la ligne d’horizon. Celle-ci éclate, fragmentée suite à la création de panoramas par collage successif de carrés photographiques en noir et blanc, et devient courbe comme dans Reconstruction Sea 0°-135. Ou ondule et forme un dôme dans les deux vues de Panorama (Dutch Montain), L15°, l’horizon/mer devenant dans l’imaginaire un horizon/terre.
Autant d’expériences presque scientifiques par la présence de schémas du calcul des courbes au crayon papier.

Dans Land Horizon 0°-135° et Sea Horizon 0°-135°, la ligne horizontale devient une oblique qui bascule et tangue dans les deux frises continues formées par des modules photographiques carrés de grand format.
Tandis que dans Big Comet et Little Comet le cadrage oblique fait émerger des formes nouvelles et étranges: d’immenses perches en arc de cercle naissent de l’assemblage échelonné de photographies rectangulaires d’horizon/terre ou d’horizon/mer.

La composition Blue Line semble résorber toutes ces tentatives: le panorama prend ici la forme d’une ligne continue et minimaliste formée par deux rangées de photographies identiques découpées et placées en miroir.

La recherche de mouvement, d’équilibre et de contrastes chromatiques domine ensuite. Les multiples formes naissant de la combinaison entre deux carrés d’horizon/mer et d’horizon/terre contredisent la ligne d’horizon impeccable des Nouveaux Horizons.
À l’intérieur d’une petite lunette en arc de cercle, un assemblage de photographies d’horizon/mer de plus en plus grandes évoque le mouvement d’une vague renforcé par un crayonné nerveux. Dans d’autres frises de carrés photographiques une teinte verte ou indigo envahit progressivement la surface bleutée évanescente du ciel.
Tandis qu’un oculus, une fenêtre circulaire en trompe-l’œil nous donne à voir un jardin extérieur fictif où l’horizon se limite à une minuscule ouverture. Et les horizons monumentaux de TGEL Land + Sea Horizon, rappellent que toutes ces photographies sont aussi issues d’une géographie du monde.

Dans la contemplation de ces deux étendues vertes et bleues, les paysages hollandais apparaissent comme les déclencheurs de l’acte photographique.
Enfin, les deux vidéos réalisées en 1971 prolongent les expériences sur la vitesse et le mouvement: au sein du même module carré avec des lignes d’horizons obliques ou horizontales, le mouvement de la caméra s’ajoute ici, au flux et au reflux des vagues.

Autour de l’horizon, Jan Dibbets construit une œuvre minutieuse et dépouillée où un changement de cadrage, un léger basculement de la ligne d’horizon annoncent une recherche future. Par leurs compositions silencieuses, géométriques ou renversées, ces photographies obligent le regard à l’acuité et révèlent la double nature de la représentation: ces horizons se fondent dans une certaine abstraction pour réapparaître encore plus «réels» la seconde suivante.

Empruntant au Land Art, à l’Art conceptuel ou à l’abstraction sans pour autant appartenir à aucune de ces tendances, Jan Dibbets traite la ligne d’horizon comme une pure construction intellectuelle non dénuée de poésie.

Liste des oeuvres :
— Jan Dibbets, Blue Line, 1974. Photos couleurs et crayon sur papier. 75 x 102 cm
— Jan Dibbets, Reconstruction Sea 0°-135°, 1972-1973. Photo noir et blanc et crayon sur papier. 50 x 56,5 cm.
— Jan Dibbets, Five Island Trip (Works for Siegelaub’s Summershow), 1969. Photographie noir et blanc, carte et crayon sur papier. 64 x 48 cm.
— Jan Dibbets, Sectio Aurea, 1972. Photos couleurs et crayon sur papier. 85 x 105 cm.
— Jan Dibbets, Sectio Aurea, AA5, 2007. Photos couleurs et crayon sur papier. 185 x 140 cm.
— Jan Dibbets, Panorama ( Dutch Montain) L 15°, 1971. Photos couleurs et crayon sur papier, 71 x 70,5 cm.
— Jan Dibbets, New Horizons, HB 3, 2007. Photos couleurs et crayons sur papier. 120 x 100cm.
— Jan Dibbets, Universe-World’s Platform,1972. Photos couleurs et crayon sur papier. 65 x 65 cm.
— Jan Dibbets, Negative Montain-Sea, 1972. Photos couleurs et crayon sur papier. 69 x 96 cm
— Jan Dibbets, Horizon III Sea, 1971. Installation cinématographique, film 16 mm, version numérique.
— Jan Dibbets, Horizon II Sea, 1971. Installation cinématographique, film 35/36 mm, version numérique.

Publication
Jan Dibbets, Horizons, Edition Snoeck. Néerlandais/français ou allemand/anglais. 2010.

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