ART | CRITIQUE

Holidays. God is Infinity

PNatalia Grigorieva
@12 Oct 2005

Sous l’intitulé mystérieux «Holidays. God is Infinity», Adel Abdessemed expose ses dernières œuvres. Il y est question de religiosité, d’infini et de dépouillement artistique.

Adel Abdessemed envisagerait le vide comme acte artistique, la déconstruction comme forme de liberté. Une fois de plus cette théorie se confirme avec l’exposition «Holidays. God is Infinity». L’expression est réduite à son minimum, l’artiste épure autant que possible. Point de fanfreluches, absence d’effets de style divertissants. Le dépouillement est total, les œuvres sont brutes, minimalistes, revendiquant leur absoluité. Cette austérité confirme un travail doté d’une pensée critique aux facettes politiques, mais rejetant le militantisme aveugle et les prises de position extrémistes.

Adel Abdessemed suggère plus qu’il ne professe. Ses propositions idéologiques qui ne manquent pas d’atteindre leur cible se profilent dès l’aménagement de la zone d’exposition.
L’artiste, comme à son habitude, déconstruit l’espace et il en résulte une ouverture libératrice, une délivrance, une mise à mort du superflu qui parasite trop souvent notre environnement et conduit aux ankyloses des sens, à la saturation de la perception. Une fois vidé, l’espace respire et se remplit d’associations, de mises en perspective de l’intellectuel, du politique et du religieux.

Les œuvres présentées au sein de «Holidays. God is Infinity» ont pour liant deux notions consubstantielles, deux prétextes agglomérant l’ensemble, à savoir Dieu et l’infini. Chaque œuvre en recèle des traces, présentes m ais difficilement visibles au premier abord. Ainsi, Travaux, sept sculptures impressionnantes en marbre noir, représentant des tiges de perceuses électriques surdimensionnées dirigées vers le ciel, se réfèrent à des totems, et communiquent une inquiétude, un sentiment de danger. La violence résonne sourdement et évoque la douleur qui touche le monde sans jamais pourvoir être éradiquée.

La sculpture Spirit, réplique en argile du robot expédié par la NASA sur Mars, met en évidence les aspirations d’une superpuissance, un élan vers l’insondable univers qui fait fantasmer l’Homme depuis l’Antiquité. Un cube de plastique transparent, dans Ocean View, renferme des petits bateaux fabriqués avec des dollars. Les billets figurent la possibilité d’augmenter le pouvoir d’achat à l’infini — c’est du moins ce que veut faire croire le capitalisme devenu religion universelle.

L’élégante animation vidéo God is Design est un enchaînement de 3050 dessins avec comme figure dominante le cercle qui n’est pas sans évoquer l’éternité. Se succèdent indéfiniment des motifs religieux judaïques et musulmans, des cellules, des grilles, des références à la peinture aussi bien occidentale qu’orientale. L’infini peut donc être appréhendé comme répétition exponentielle. Ainsi, tel Sisyphe poussant perpétuellement son rocher, le spectateur visionne les vidéo Foot On et Les Douleurs de ma mère. Dans la première, un pied nu éclate une canette de Coca-Cola, dans la deuxième une silhouette esquissée au feutre répète continuellement les mêmes gestes pieux.

Par ailleurs, le passé et le présent se frôlent — comme souvent dans le travail d’Adel Abdessemed — pour illustrer leur éternelle opposition. Ici, ce sont des rituels cumulant des siècles de pratique — la prière dans Les douleurs de ma mère ou l’art du dessin de God is Design — et les nouvelles images pieuses, celles du capitalisme — le Coca-Cola, le dollar ou le robot à la conquête de l’espace. Pourtant, les uns comme les autres sont menacés. Leur nature spirituelle, prétentieuse ou conquérante passerait presque sous silence une fragilité et une vulnérabilité latentes.

Les traditions s’oublient, les coutumes ancestrales sont sacrifiées sur l’autel de la mondialisation. La silhouette en prière tremblote, vacille, menace de s’évanouir à tout moment dans le rien. Les motifs, à peine a-t-on le temps de les détailler qu’ils s’effacent et sont remplacés par d’autres. Si les valeurs occidentales paraissent triomphantes, elles n’en sont pas moins friables. Car un billet n’est qu’un bout de papier, et Spirit se révèle comme un grossier jouet pour adultes.
Cette constatation est d’autant plus frappante que l’infini entre en jeu et place ces symboles sur une autre échelle. Ainsi, le travail d’Adel Abdessemed rappelle une parole d’Alfred Jarry : «Dieu est le plus court chemin de zéro à l’infini, dans un sens ou dans l’autre».

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