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History of abstraction III Composition n°3: les aveugles

PPaul Brannac
@23 Sep 2011

En réalité les toiles «figuratives» de Bruno Perramant sont très près de l’abstraction: elles déclinent un programme plutôt qu’une couleur, à la place d’un trait elles proposent une idée et font sous elle disparaître la peinture même, laquelle s’expose comme un pré-texte à dire ce qui eût pu s’écrire.

L’œuvre de Bruno Perramant est toujours marqué par la violence (moins guerrière désormais), toujours hanté par des fantômes plus ou moins conformes aux représentations communes: de l’ectoplasme blanc au bandit masqué de noir, du jeune homme la tête enfouie dans son t-shirt bleu aux draps étalés, comme si l’apparition qui leur donnait une forme les avait abandonnés là sur une toile.
A ces linges ou bien à ces linceuls répondent Les Tapis rouges (2008-2009) ne gravissant rien mais volant en escalier, ou bien encore un chien patient à la Gainsborough que l’on retrouve deux fois: à l’entrée de la galerie (chien de garde sans doute) dans le diptyque Le Chien blanc n°3 (le trou noir) (2011), et sous sa verrière, dans le polyptique qui donne à l’exposition son sous-titre (Composition n°3: les aveugles, 2000-2011).

En regard du premier chien donc, un trou noir, blanc en réalité, comme le chien, car c’est son cerne qui est noir, trou contrasté qui fait en lui le vide à la manière — et c’est bien de manière ici qu’il s’agit — du Vide, de Barnett Newman. Ici peut-être la seule référence directe à l’abstraction dont l’exposition ambitionne de relater une part d’histoire. Histoire paradoxale, insiste Bruno Perramant qui tient décidément à écrire ses communiqués de presse lui-même, puisque c’est par la figuration qu’il entend faire l’histoire de ce qu’à tous égards on considère en peinture comme son mouvement contraire.

Son polyptique est l’expression de cette forme d’histoire, dont il emprunte, avance-t-il d’emblée, la forme aux Histoire(s) du cinéma de Godard. La forme, en l’occurrence, consiste ici à faire correspondre au montage cinématographique le polyptique pictural; correspondance à la fois peu probante et un peu vaine: au lieu d’une célébration de la peinture (comme chez Godard du cinéma), on se trouve face à une sorte de haut retable hétéroclite devant lequel ni la peinture ni la disposition n’inclinent à faire plier le genou.

Mais puisque Bruno Perramant se trouve toujours «là où on ne [l’]attend pas»(dixit lui-même), il faut comprendre que l’abstraction dont il parle, de même que l’histoire qu’il fait ne correspondent nullement à ce qu’on en attendait: «Vous allez être déçu»(dixit idem). L’abstraction à laquelle l’artiste fait référence en réalité est celle de ce vide devant lequel il se trouve au moment de la création, de ce temps abstrait dans lequel alors «aucune histoire ne tient».

En exergue de son texte, Buno Perramant a placé un extrait de la correspondance de Céline avec Elie Faure. Le premier écrit au second (sans doute avant qu’il ne lui reproche de s’être «enjuivé») que l’abstrait «est la lâcheté même de l’artiste, c’est la désertion. Faire rentrer l’abstrait dans le concret, voilà le difficile». Et ici Céline a raison, même si sans doute il a tort de voir de cet «abstrait» dans les toiles dites «abstraites».

Et ici Céline accuse Perramant. Car en réalité ses toiles «figuratives» sont très près de l’abstraction, de l’espèce d’abstraction qu’évoque Céline: elles déclinent un programme plutôt qu’une couleur, à la place d’un trait elles proposent une idée et font sous elle disparaître la peinture même, laquelle ne s’expose plus que comme un pré-texte à dire ce qui eût pu s’écrire. C’est de nécessité que manque la peinture de Bruno Perramant, et c’est bien d’abstraction dont souffrent ses images.

Œuvres
— Bruno Perramant, Composition n°3: les aveugles, 2000-2011. Huile sur toile. Polyptyque de 19 tableaux, 500 x 420 cm environ à la galerie

L’Oubli, 2004. Triptyque 3 x (97 x 130 cm)
Le Chien blanc n°4, 2011. 65 x 92 cm
Le Serpent, le feu n°1, 2010. 33 x 46 cm
Portrait, fantôme, 2008. 60 x 50 cm
Les Aveugles, 2011. 195 x 130 cm
La Couverture jaune, 2010. 146 x 114 cm
L’Excuse, 2011. 100 x 81 cm
The End n°2, 2006. 35 x 24 cm
Optique n°3, le livre, 2007. 100 x 80 cm
Che ?, 2007. 80 x 100 cm
Dream n°1 (Saint Paul), 2000. Diptyque 2 x (60 x 73 cm)
Le Feu n°2, 2011. 80 x 100 cm
Reflet bleu, 2011. 33 x 41 cm
Zorro n°1, 2011. 100 x 80 cm
Catwoman n°5, 2011. 46 x 38 cm
Soleil vert, 2011. 46 x 38 cm

— Bruno Perramant, La Couverture rouge (Léviathan), 2011. Huile sur toile. 114 x 146 cm
— Bruno Perramant, Les Couvertures vertes et rouges, 2011. Huile sur toile. 146 x 114 cm
— Bruno Perramant, Le Chien blanc n° 3 (le trou noir), 2011. Huile sur toile. 65 x 91 cm et 80 x 60 cm
— Bruno Perramant, L’Habit bleu, 2011. Huile sur toile. 114 x 146 cm

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