ART | CRITIQUE

Hirschdenkmäler

Vernissage le 14 Oct 2012
PAude Mege
@19 Nov 2012

En collaboration avec Norman Rosenthal, la galerie Thaddaeus Ropac présente une exposition de l’artiste allemand Joseph Beuys décédé en 1986. Profondément meurtri par les guerres qui ont parsemé l’histoire moderne de son pays, il exorcise ses blessures dans une méditation sur l’existence et sur la raison d’être de l’homme et de l’artiste.

En 1982, Norman Rosenthal organisait «Zeitgeist», mémorable exposition à l’occasion de laquelle Joseph Beuys avait déplacé son atelier au Martin-Gropius-Bau de Berlin pour créer un environnement sculptural baptisé Hirschdenkmäler (Monuments au cerf). Trente ans plus tard, cet environnement révélateur des obsessions de l’artiste reprend vie dans l’espace central de la galerie Thaddaeus Ropac.

Devant cette œuvre, on est frappé par l’attrait que l’artiste a toujours manifesté pour les particules élémentaires et primitives.
Quarante et un Ehmlinge ou Urtier gisent au sol, amas d’argile rudimentaire à l’étrange allure d’étrons. Par delà l’allusion scatologique, ils renferment toute une symbolique existentielle. Ces formes peuvent d’abord évoquer les emmings, ces petits rongeurs qui incarnent la mort en raison d’une veille croyance selon laquelle ils se tuaient, parfois volontairement, en sautant des falaises durant leur migration.
Ce formes argileuses peuvent aussi être vues comme l’allégorie des outils de l’artiste, et devenir des signes de vitalité et de création. Tandis qu’ils sont endormis sur le sol, la chaleur de l’argile, générateur de toute vie et de toute créativité, vient leur apporter un souffle salvateur.

La sculpture Boothia Félix, cube de terre et de racines posé sur un trépied et surmonté d’une boussole, est elle aussi une hymne à la vie. Elle fait référence à la péninsule éponyme située dans le cercle Arctique aux paysages de glace dans lequel des végétaux ont réussi à se développer contre les forces de la nature. Ainsi cette boussole semble se dresser comme pour indiquer l’état d’esprit que l’homme doit adopter. Qu’importe les circonstances, il doit croire aux miracles.

Et au centre de cet édifice métaphysique, veille Le Cerf, étrange composition faite de la planche à repasser de la mère de l’artiste reposant sur quatre pieds de bois. Le cerf, animal allégorique entre tous, parfait la résonnance mystique de l’œuvre. Symbole du Christ crucifié dans la tradition chrétienne, il annonce dans Les Monuments, la résurrection que l’humanité doit espérer. Sous des dehors austères, l’art de Joseph Beuys n’est finalement qu’un hommage rendu à l’espérance.

Tout aussi fondamental que ce questionnement spirituel, l’œuvre de l’artiste revêt un caractère temporel frappant. Il est ici évidemment question d’écologie pour laquelle Beuys se passionna et s’engagea activement. C’est dans cet esprit que dans la région italienne des Abruzzes qu’il affectionnait tant, il donna naissance à une série d’actions baptisée «Difesa della natura».

Impossible à exposer, Piantagione Paradis est la plus emblématique du projet avec ses quinze hectares de terre plantée de 7000 arbres en voie d’extinction. Aussi dans la galerie, ce sont des bouteilles contenant vin, fruits, légumes et diverses substances alimentaires de premier ordre posées sur une table sous une banderole frappée de la phrase-titre «Défense de la nature» qui font office de manifeste, simple et intelligible, de la défense de l’environnement.

Artiste au caractère entier, les engagements de Joseph Beuys ne pouvaient être qu’absolus. Chose plus rare, ils évitaient toujours l’écueil de l’austérité. L’humour aussi est une arme. Voilà pourquoi il n’hésitait pas à inscrire à la craie sur un tableau noir d’écolier cet aphorisme inspiré: L’arte c’è quando malgrado si ride (L’art c’est quand on rit quand même). Avec Joseph Beuys, il est toujours question de dédramatisation.

Et au détour d’une photographie, la démarche de Joseph Beuys prend des allures révolutionnaires. Accroché au mur, un exemplaire de la sérigraphie La rivoluzione siamo noi (La révolution, c’est nous) faite à partir d’un portrait en noir et blanc attire l’œil. Grandeur nature, l’artiste marche d’un pas lourd et assuré en direction du spectateur, comme pour le convaincre de rejoindre sa rébellion. A la fois désabusé par son époque partagée entre le marxisme et le capitalisme, et idéaliste quant à son avenir, l’artiste rêvait d’un changement radical capable d’offrir au monde un dénouement heureux.
Il n’est question ni d’arme ni de sang mais du surgissement d’un bouillonnement artistique général. «Chaque homme est un artiste», disait-il. Et Norman Rosenthal d’ajouter: «La communication artistique est le seul lien qui soude la société». Chaque individu dévoilant la créativité enfermée dans son âme pourrait bouleverser le monde.

Dans cette abondante collection de sculptures, installations, mais aussi dessins en tous genres disséminés dans les étages de la galerie, c’est le portrait d’un romantique, peut-être le plus important de son temps, que nous redécouvrons. Créateur du concept de la «sculpture sociale» qu’il définissait comme un travail avec l’invisible, son œuvre aspirait à la guérison des maux de la société et à la réconciliation de l’individu avec son environnement.

Œuvres
— Joseph Beuys, An zwei Grabmonumenten, 1953, Oil and pencil on paper, 29.5 x 21 cm
— Joseph Beuys, Aus dem Maschinenraum, Anhänger ( From the Machine Room, Trailer), 1977, ‘Romi’ margarine and felt in cardboard boxes (on wood with steel pedestal and Plexiglas vitrine), 202 x 128 x 56 cm – overall with pedestal and vitrine 16.5 x 111.8 x 31.8 cm, sculpture
— Joseph Beuys, Badewanne für eine Heldin, 1961, Blaue Tinte auf Papier, collagiert auf Papier, 10.6 x 14.5 cm, 51 x 23 cm
— Joseph Beuys, Bewegung Rhythmus, 1962, Pencil on folded sheets of paper, in four parts each 21.7 x 15.2 cm
— Joseph Beuys, Bienenkönigin, 1955, Pencil and watercolour on paper, 6.5 x 14.5 cm
— Joseph Beuys, Boothia Felix, 1958/1982, Metal tripod, terracotta shards,, earth, rosemary roots, compass, 143 x 75 x 75 cm
— Joseph Beuys, Brustwarze (Nipple), 1963, Seeds, wood, plaster and fat in galvanised zinc and glass frame, 79.4 x 54.6 x 8.9 cm
— Joseph Beuys, Coyote, 1980, Photograph with oil, (Braunkreuz) on photo-sensitive canvas, 80 x 120 cm
— Joseph Beuys, Das Kontagakind und die Musik, 1963, Oil (Braunkreuz), fat and ink on paper, 21 x 15 cm
— Joseph Beuys, Difesa Della Natura, 1982, Sculptural environment of wooden table with bottle of wine and seven jars of bottled fruit, vegetables, etc., all bearing Free International University labels, together with plaster sculpture and stone; suspended above is a sailcloth banner with “DIFESA DELLA NATURA” printed in red, Table 78 x 156 x 78 cm, Banner 105 x 390 cm, Installation size depends on size of room
— Joseph Beuys, Energy, 1962, Ballpoint, oil (Braunkreuz) and fat on paper, 27.4 x 40.2 cm
— Joseph Beuys, Fernsehscheibe (Television disc), 1968, Felt disc with ‘Hauptstrom’ stamp and signature on board in the original metal frame 44.5 x 57.5 x 3.8 cm
— Joseph Beuys, Friedenshase, 1982, Zinn, 15.1 x 9.5 x 5.5 cm
— Joseph Beuys, Gegenüber dem, Fixsternhimmel (Facing the stars), 1978, Two Irish paper bags with handwritten additions (title), between glass plates stamped ‘Hauptstrom’ on white glass, in iron frame, one of five identical examples, 81 x 48 cm
— Joseph Beuys, Handgranate, ca. 1970, Oil on paper with string in a, cardboard box in a wood box, 15 x 9 x 5 cm
— Joseph Beuys, Hase, 1968, Watercolour and paper collage on card, 19.3 x 11.7 cm, check dimensions
— Joseph Beuys, Hirsch, 1958/1982, Teak wood and wooden ironing, board that belonged to the mother of Joseph Beuys, 48 x 104 x 172 cm
— Joseph Beuys, Hogan, 1959, Oil and pencil on paper, 21 x 29.5 cm
— Joseph Beuys, Kopf, 1962, Paint on paper and printed paper collage on paper, 41 x 70 cm
— Joseph Beuys, Kunst ist wenn man trotzdem lacht, 1978, Chalk on blackboard, in two parts 102 x 103 cm, each black board 102 x 206 cm
— Joseph Beuys, La Rivoluzione Siamo Noi, 1971, Silkscreen with handwritten text and stamp, 191 x 100 cm, framed dimensions Ed. 13/180
— Joseph Beuys, Mädchen mit Apfel, 1954, Pencil and watercolor on paper, 29.5 x 21 cm
— Joseph Beuys, Mädchenkopf im Gebirge, 1954, Pencil on paper, 20.7 x 29.5 cm
— Joseph Beuys, Materialpartitur (Fettbild), 1963, Ink, grease and paper collage on paper 34 x 23.3 cm
— Joseph Beuys, Pack Picture IV, 1961, Oil (Braunkreuz) on folded brown paper, 37 x 24.5 cm
— Joseph Beuys, Pythagoras, 1948, Oil, metallic paint, pencil and paper collage on paper, 21 x 29.5 cm
— Joseph Beuys, Rose, 1972, Water colour and pencil on paper 31 x 21.9 cm
— Joseph Beuys, So kann die Parteiendiktatur überwunden werden (How the dictatorship of the parties can be overcome), 1971-77, Oil (Braunkreuz) on felt with iron clip in glazed white-painted wooden box, one of three examples, 75 x 48 cm
— Joseph Beuys, Tiere, 1954/57, Pencil on velin, 20.8 x 30 cm
— Joseph Beuys, Tisch mit Aggregat, 1958 – 1985, Bronze, wire cables, 98.5 x 58 x 170 cm, Ed. 2/4
— Joseph Beuys, Untitled, 1955, Metal, fat and graphite on paper, 15.6 x 70.5 cm
— Joseph Beuys, Untitled, 1956, Graphite, gouache and paper collage on printed paper, 9.2 x 18.4 cm, drawing 29 x 20.9 cm, montage
— Joseph Beuys, Untitled, 1960, Collage with coloured paper on card, 35 x 24.7 cm
— Joseph Beuys, Untitled, 1960, Pencil and hare’s blood on paper, four parts, Overall dimensions 41.3 x 59.7 cm
— Joseph Beuys, Untitled, 1961, Oil (Braunkreuz) on paper 20.6 x 32.4 cm
— Joseph Beuys, Untitled, 1965, Oil (Braunkreuz) on printed diagram for chocolate samples 29.8 x 21 cm
— Joseph Beuys, Untitled, 1965, Oil (Braunkreuz) on printed diagram for chocolate samples 29.8 x 21 cm
— Joseph Beuys, Urtiere (primordial creatures), 1958/1982 41 sculptures in clay, each contains one work tool. Dims variables
— Joseph Beuys, Versuch I (Experiment I), 1980, Photograph with oil, (Braunkreuz) photo-sensitive mounted on canvas, 45.5 x 70.2 cm
— Joseph Beuys, Ziege, 1958/1982, Three wheeled cart, iron pick, clay, 49 x 72 x 93 cm

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