DANSE | CRITIQUE

Hidden

PCéline Piettre
@11 Juin 2008

Après Tigers in The Tea House, en 2006, Carolyn Carlson renoue avec l’orient pour révéler les "mysterieux appels émanant de l’âme". Une danse spirituelle et poétique qui s’impose surtout par sa grande virtuosité plastique.

Hidden, littéralement ce qui est caché, a pour ambition secrète de fouler le territoire des inconscients, de sonder les invisibles — pensées, cœurs, parcelles de vie imperceptible, au-delà. Comme le shaman, « celui qui sait », le danseur « bondit, s’agite et danse » à la rencontre d’un temps et d’une dimension autre, royaume des esprits et de la mort, passé ou futur. Durant toute la pièce, les mouvements des interprètes portent les traces de ce dialogue avec l’intangible, comme s’ils tentaient de saisir l’invisible du bout de leurs doigts, manipulant les flux et les énergies spirituelles.

Inspirée par le chamanisme japonais, originaire de Corée et de Sibérie, Hidden brise les barrières entre le ciel et la terre, l’être et le non-être, la vie et la mort — matérialisée au sol par un rempart de cendre — et aménage des zones de passages. Á l’ombre des parques, les corps s’affrontent dans la violence, se perdent au seuil de la conscience en des mouvements primitifs, s’adonnent à des offrandes méditatives.

Adepte du bouddhisme zen, convertie aux formes poétiques japonaises, la chorégraphe d’origine finlandaise, directrice du Centre chorégraphique national de Roubaix, poursuit ici son voyage à travers les philosophies orientales. Sa danse, toute en rondeurs, très articulée, rappelle les dessins à l’encre qui illustrent ses recueils d’haïku, les entrelacs et la force graphique des calligraphies asiatiques.

En digne héritière du chorégraphe Alwin Nikolaïs, dont elle a été la danseuse emblématique pendant 7 ans, jusqu’en 1971, Carolyn Carlson fusionne le mouvement, la musique et la couleur. Les sonorités percutantes de la finlandaise Kaija Saariaho prennent possession des corps bondissants, rythmés par le tic-tac régulier d’une horloge ou d’un trot à l’allure emportée. Plus tard, apaisés, ils répondront aux chants des oiseaux par une gestuelle céleste, inspiré de la rapidité saccadée des volatiles et des vers de Saint-John Perse. Sur scène, les objets — tonneaux, tapis de verdure, tabouret de méditation — sont dotés d’une mystérieuse beauté plastique et entreprennent les corps dans une conversation nourrie d’énigmes. Leur interaction génère des constructions abstraites, étranges et harmonieuses, source de plaisir esthétique et tremplin pour l’imaginaire. Fulgurance d’un rouge sang, indolence des verts et des bleus… Les interprètes composent de leur mouvement une véritable peinture dans l’espace, où la tonalité et les rythmes marchent côte à côte.

Au final, la grande prêtresse de la modernité est l’auteur d’une poésie visuelle à la portée mystique indéniable, qui emprunte sa forme aux arts martiaux et au butô, puise sa créativité dans l’improvisation. Mais cette énergie, cette esthétique intemporelle, sacrifie quelque peu à la virtuosité plastique l’expressivité de la danse et à un universalisme teinté d’ésotérisme la vérité de nos trajectoires contemporaines.

— Chorégraphie : Carolyn Carlson
— Interprétation : Jacky Berger, Yutaka Nakata, Isida Micani, Chinatsu Kosakatani
— Musique : Kaija Saariaho
— Lumière : Rémi Nicolas
— Date de création : 2007

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