PHOTO | CRITIQUE

Heterotopia

PAnne Lehut
@23 Sep 2011

C’est lors de la dernière exposition collective chez Alain Gutharc, «Paysages», que l’on avait pu entrapercevoir le travail de Vincent J. Stoker. En cette rentrée, c’est seul que le jeune photographe vient investir la galerie avec sa série Heterotopia.

Faut-il commencer par rappeler ce qu’est une hétérotopie? Les photographies de Vincent J. Stoker ont ceci de puissant qu’à les regarder, le concept forgé par Michel Foucault devient presque limpide. Littéralement, une hétérotopie est un «lieu autre» — hors de toute expérience quotidienne, le versant concret de l’utopie.

Ce qui fait l’altérité des lieux que Vincent J. Stoker photographie est leur abandon, leur aspect de ruine. Il parcourt les continents à la recherche de constructions imposantes, porteuses d’un idéal, mais aujourd’hui abandonnées et rattrapées par le temps, dans lesquelles la nature reprend petit à petit ses droits: vanités contemporaines.

Ici, une immense salle — ancienne assemblée? — décorée de mosaïques et de symboles emblématiques d’une histoire elle aussi quelque peu déchue: la faucille et le marteau. Comme dans toutes les photographies de Vincent J. Stoker, nulle figure humaine. C’est la neige qui a recouvert le lieu.
Là, un long couloir dont les murs décrépits se recouvrent de mousse. Ce retour de la nature porte un nom pour l’artiste: c’est la «chute tragique». Vincent J. Stoker sait également profiter des éléments avec ces photographies dans lesquelles l’eau qui stagne au sol démultiplie la perspective, donnant à ces architectures de béton un caractère d’infini.

Mais la nostalgie n’est pas le sujet de Vincent J. Stoker qui présente ces architectures comme des lieux en perdition, et par là-même en devenir: appelées à devenir autre chose. Si ces photographies racontent bien l’histoire d’un échec, celui-ci nous tire vers le sublime, cher aux romantiques qui déjà, à la suite d’un Piranèse, faisaient des ruines un sujet de prédilection.
Car les photographies de Vincent J. Stoker sont belles, majestueuses. La décrépitude des lieux leur confère une réelle majesté. Toujours tirées en grand format, elles sont frontales et nous projettent dans des espaces qui, construits de main d’hommes, ne semblent plus faits pour les accueillir.
Le photographe lui-même travaille quasi clandestinement, sans autorisations, souvent obligé de s’édifier des échafaudages de fortune.

Par quel paradoxe peut-on ressentir de la satisfaction esthétique devant ces témoignages des crises de notre propre Histoire? Les titres des photographies ne donnent pas de précision sur les lieux: ce sont toutes des Hétérotopies. Ce qui illustre l’un des traits de l’hétérotopie définie par Foucault: l’universalité. La ruine est inhérente à toute entreprise humaine, et le sentiment que font naître ces photographies est tout aussi universel.

Il n’est cependant pas interdit de s’interroger: qu’est-ce que c’était, avant? Avant la chute, avant la ruine, avant l’échec? Quelle était la fonction de ce lieu fascinant, rempli de cages à oiseaux en fer, si incongrues dans ce hangar immense?

Poursuivant sa série, Vincent J. Stoker explore d’autres modalités de l’hétérotopie: musées, bibliothèques d’un nouveau genre… Réserves de savoir en tout genre. Toujours dépourvues de présence humaine, ces images parlent pourtant beaucoup de nous. Le sentiment de vertige fonctionne toujours.

Å’uvres
Vincent J. Stoker, Hétérotopie IEBCII, 2011. Photo couleur. 135 x 170 cm

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