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Hervé Chandès (Fondation Cartier)

La fondation Cartier a 20 ans, et elle reste fidèle à ses principaux objectifs de départ: être un lieu libre, transversal dans le temps, et ouvert à tous les publics. Accueillir les divers domaines de la création sans enfermer la programmation dans un seul registre.

Interview
Par Caroline Lebrun

Créée en 1984 à l’initiative d’Alain-Dominique Perrin, la Fondation Cartier s’est d’abord installée à Jouy-en-Josas grâce à l’impulsion de César qui avait découvert les lieux et suggéré l’idée d’y installer des ateliers où les artistes seraient invités à séjourner pour créer. Ce fut le cas jusqu’en 1994, date à laquelle la Fondation fut déplacée au centre de Paris. Située au 221, boulevard Raspail, elle occupe aujourd’hui l’immeuble de verre imaginé par Jean Nouvel pour abriter ses bureaux et offrir une vitrine à l’art contemporain international à travers expositions temporaires, soirées nomades et autres manifestations.

Caroline Lebrun. En 20 ans d’existence, la fondation Cartier est-elle restée fidèle aux principes qui l’avaient fait naître ?
Hervé Chandès. Oui, je le crois. Les grands principes sont toujours vivants. Il s’agissait, tout d’abord, de proposer aux artistes un lieu qui leur serve d’outil pour créer et se faire connaître. A l’époque, à Jouy-en-Josas, cela se passait essentiellement à travers les ateliers d’artistes et les résidences. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Mais, depuis que nous sommes dans ce bâtiment à Paris, nous avons énormément développé les commandes passées aux artistes afin d’être associés de très près à la création elle-même. Enfin, l’autre idée forte qui continue à prévaloir consistait à faire de la Fondation un lieu libre, transversal dans le temps, et ouvert à tous les publics. Dès le départ, nous avons souhaité y faire rentrer les divers domaines de la création sans enfermer notre programmation dans un seul registre.

Aujourd’hui, comment souhaitez-vous la faire évoluer ?
Tout simplement, comme nous l’avons toujours fait, sans programme prédéfini. La Fondation évolue au gré de notre propre évolution et de celle du monde extérieur. Nous restons toujours sur notre terrain, celui de la création contemporaine ouverte, internationale et très éclectique. Ensuite la programmation est faite de ce qui va arriver.

Pour nous donner un ordre d’idées, quels sont les frais de fonctionnement que nécessite un tel établissement tel que celui-ci ?
La Fondation est privée, entièrement financée par Cartier pour sa communication. Pour donner une estimation large, le budget général — de fonctionnement et de programmation — varie autour de cinq millions d’euros.

Quels rapports entretient la Fondation avec l’entreprise Cartier ?
Ce sont des rapports très proches, simples et structurés. La Fondation a une mission à remplir qui lui a été confiée avec un cahier des charges à respecter. Elle rend régulièrement compte de ses activités à l’entreprise avec laquelle elle travaille main dans la main. Nous entretenons d’étroites relations avec la maison Cartier et ses filiales étrangères, notamment dans le domaine de la communication.

Quel visage la Fondation contribue-t-elle à donner au mécénat ?
En plus d’être un lieu ouvert et international, elle est très active dans le sens d’une grande proximité avec les artistes. Le principe des commandes est aussi une philosophie. C’est l’âme de la Fondation. Il détermine notre relation avec les artistes. Par exemple, Raymond Depardon n’aurait pas fait ses films sur le cinéma — qui sont pourtant très importants dans sa carrière et sa réflexion — si nous ne lui avions pas passé commande.

Vous passez toujours des commandes aux artistes présentés dans le cadre des expositions ?
Oui. Les commandes représentent un engagement de notre part mais aussi des moments d’enjeux pour les artistes. Cela leur donne l’occasion de découvrir de nouveaux terrains.

Personnellement, quel est votre rôle en tant que directeur de l’établissement ?
Avant d’être directeur, j’étais conservateur. Maintenant, je conçois la programmation et je la mets en œuvre aussi bien en France qu’au niveau international. Je m’occupe également de la collection.

Quelle est la visibilité de la collection une fois qu’elle est constituée et que les expositions sont passées ?
Dans un premier temps, nous avons pris soin de la créer car nous partions de zéro. Aujourd’hui, la collection compte environ 300 artistes. Elle a été montrée partiellement — car elle ne peut pas l’être dans sa totalité — en Asie et dans quelques pays d’Europe comme l’Espagne ou l’Italie. Actuellement, des projets plus importants sont en cours de négociation afin de lui donner une meilleure visibilité à l’étranger. Sinon, la collection est surtout présentée à l’occasion des différentes expositions de la Fondation. Quand nous avons organisé celle consacrée à William Eggleston nous avons pu, par exemple, montrer deux œuvres de commandes passées à l’artiste. De même pour Sarah Szé : nous avons acheté l’exposition et ceux qui l’ont vue on pu prendre connaissance des œuvres qui font aujourd’hui partie de nos fonds. Nous prêtons également beaucoup d’œuvres aux musées qui les présentent dans le cadre d’expositions temporaires.

L’exposition Yanomamis, l’esprit de la forêt avait-elle aussi une vocation humanitaire puisqu’elle était organisée en partenariat avec plusieurs ONG ?
Sa vocation première était de parler de pensée et d’esthétique. Mais elle avait aussi un caractère militant. Une fois sa légitimité trouvée sur le terrain artistique, elle visait à plaider la cause des Yanomamis. Il est très important pour des communautés comme celle-ci de faire parler d’elles à l’étranger pour exister. Sinon, on éteint la lumière. L’exposition était une manière de l’allumer. Nous nous sommes engagés nettement en ce sens : nous avons soutenu un programme d’éducation bilingue et le lancement d’un programme de cartographie du territoire. Ce n’était pas un projet « sur », mais « avec et par » les Yanomamis. En tant que première exposition de ce type, elle avait un caractère hautement politique.

Lors de l’exposition « Pains couture by Jean-Paul Gaultier », que souhaitiez-vous montrer ? Avez-vous d’autres projets de rapprochement avec la mode ?
Nous souhaitions faire ce que nous avons montré ! En invitant Jean-Paul Gaultier à exposer ici, j’espérais qu’il invente un événement pour nous et qu’il fasse une exposition de création, un exercice de style propre au lieu. C’est justement ce qui l’intéressait : se lancer dans une aventure. Il m’a ensuite proposé de raconter une histoire en transformant la fondation en boulangerie. J’ai tout de suite trouvé formidable l’idée de partir de quelque chose de complètement inattendu, imprévisible et inconnu comme le pain pour créer une collection de vêtements et au-delà… Actuellement, nous n’avons pas d’autre projet lié à la mode mais nous ne faisons pas une programmation qui permette d’anticiper une longue période.

Que pensez-vous de la situation de l’art contemporain en France et du manque de visibilité des artistes français à l’étranger ?
Je pense qu’on en parle trop et que c’est devenu une grande fatigue. Il existe des problèmes de fond mais la complaince générale n’aide pas. Il se passe beaucoup de choses en France, il existe de nombreux centres d’art très percutants et dynamiques. A savoir, pourquoi les artistes passent mal à l’étranger : peut-être parce qu’il manque de structures entre ici et là-bas. En raison de problèmes historiques, Paris a nettement perdu de son pouvoir ou de son attrait depuis les années 60. La question de la représentation des artistes français à l’étranger doit être liée à un débat beaucoup plus général sur la culture française et sur une énergie collective qui fait défaut ici. A la Fondation, nous avons une vraie action en faveur des artistes français comme Jean-Michel Onthoniel, par exemple, que nous avons présenté cette année aux États-Unis. Mais nous ne les privilégions pas de manière systématique car cela me semble d’un autre âge et anti-productif. Il me paraît plus intéressant de mettre les artistes français dans un contexte international. Au-delà de la question de l’art, il faudrait entamer un débat plus large sur qu’est-ce qui se passe en France et à Paris…

En attendant, quels sont les projets de la Fondation ?
Nous ne faisons pas de programmation à long terme. La prochaine exposition sera consacrée à Adirana Varejão, une artiste peintre brésilienne et à Rinko Kawauchi, une photographe japonaise exceptionnelle. Pour cet été, nous sommes en train de monter une exposition, provisoirement intitulée « 20 ans », qui présentera une carte postale de la jeune création du monde entier.
J’avais envie depuis quelque temps d’organiser une manifestation qui s’apparenterait plutôt à un festival en vue de créer une dynamique et de montrer le travail d’artistes très jeunes dont le langage plastique ne s’est pas encore confronté au système des musées et des galeries. Cette idée s’est ensuite précisée lorsque j’ai vu l’exposition « Gesaï; », organisée par Takashi Murakami, qui avait invité environ cinq cents artistes complètement inconnus à venir exposer pendant une journée à Tokyo. J’ai trouvé cette manifestation très attachante et cela m’a conforté dans l’idée de monter ce projet. La mise en scène de l’exposition devrait être confiée à deux designers brésiliens, les frères Campana.
Ensuite, nous avons un projet pour octobre 2005 avec un artiste australien qui vit à Londres, Ron Mueck, et avec John Maeda qui incarne le computer-graphiste /designer le plus important au monde. Directeur de recherche au MIT à Boston, il est l’un des plus grandes personnalités dans ce domaine, aussi bien comme créateur que comme scientifique. Après, rien n’est pour l’instant fixé. L’année 2006 prendra sûrement une autre forme : ce qui m’amuse et m’intéresse est de passer constamment d’un état d’esprit à un autre.

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