PHOTO | CRITIQUE

Helen Lewitt

PMuriel Denet
@12 Jan 2008

Photographe des rues de New York des années 40, Helen Lewitt concentre son attention sur les habitants. Elle s’inscrit pleinement dans la mouvance de la Street Photography qui replace l’homme au centre de l’image.

Inaugurée le lendemain même des attentats du 11 septembre, cette rétrospective, importante par le nombre des clichés exposés, d’une œuvre dont le cadre et le thème quasi exclusifs sont les rues de New York, produit une impression étrange de flash-back impromptu, dans un passé encore proche mais disparu, enseveli sous les décombres de l’actualité et ses images en boucles hallucinantes.

Le noir et blanc de la plupart des tirages, de dimensions modestes, conformes en cela aux canons du photoreportage, la tonalité rétro des rues, des vêtements et des véhicules des années 40, qui dominent l’exposition, l’insouciance des enfants jouant sur les trottoirs, et des femmes aux fenêtres, ajoutent au charme désuet d’une ville irrémédiablement perdue: le New York d’avant les Twin Towers, d’avant leur construction. Mais un New York dont la froide architecture imposante des blocs est justement ignorée.

Si la rue est le cadre, ce sont ses habitants qui sont le sujet de Helen Lewitt. En cela, elle s’inscrit pleinement dans la mouvance de la Street Photography qui replace l’homme au centre de l’image. L’exposition montre à quel point Lewitt a développé un style et une thématique qui lui sont propres, éloignés des constats cliniques d’un Walker Evans ou des constructions rigoureuses d’un Cartier-Bresson, deux maîtres à l’origine de sa vocation photographique.

Ses photos respirent la spontanéité, les cadres ne sont pas composés selon des règles préconçues, mais, souvent bancals ou bougés, comme lancés pour saisir sans apprêt des rencontres éphémères, glanées au hasard de ses déambulations. Rencontres de la flânerie d’une photographe disponible, ouverte au monde de la rue, et de la vacance de ses occupants, non de ceux qui n’y font que passer hâtivement, mais de ceux qui l’habitent.

Les enfants d’abord, véritables maîtres des lieux, pour qui la rue est le terrain initiatique de leur sortie dans le monde, et qui la remodèlent dans ses moindres recoins en territoire de l’imaginaire. Les jeux et les graffiti, qui témoignent de leur façon de s’approprier le rêve américain (les cow-boys à la craie sur la chaussée, avec éperons et revolver, New York, 1940), sont, au fil des années, la thématique récurrente.

Quant aux adultes, ils sont désœuvrés, en attente ou en conversation (deux hommes sur des chaises dépenaillées, au bord de la chaussée, en spectateurs distraits d’une rue où il ne (se) passe rien, New York, 1940). Il fait souvent chaud, on est dehors pour prendre l’air, pour être ensemble. L’empathie du regard adoucit la misère palpable, mais digne.

Les images regorgent d’anecdotes, visuelles ou narratives, souvent humoristiques (un chien lève la patte sur la chaussure de sa maîtresse en conversation animée avec d’autres propriétaires de chiens, New York, 1983). La vie à Harlem, malgré la pauvreté et la diversité ethnique de sa population, semble paisible. Somme toute ce New York là est comme une parenthèse, à l’écart des véritables enjeux économiques, si loin de Wall Street, dans un temps oublié où la rue était encore habitable — les photos des années 80 témoignent de son encombrement par les véhicules —, et où les rapports humains n’étaient pas encore ceux que les médias d’aujourd’hui décrivent comme durs et sans concession.

Helen Lewitt
Photographies, New York et Mexico (16), des années 30 aux années 90. 135 tirages noir et blanc, 24 tirages couleurs, de 24×30 cm à 30×40 cm.

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