ART | EXPO

Hauntology

10 Sep - 26 Sep 2010
Vernissage le 09 Sep 2010

Comme en témoigne le travail de Vincent Ferré, l’histoire des médias modernes est inextricablement liée à la recherche de preuves de l’existence d’une après-vie, d’une force immatérielle unissant l’humanité ici-bas et dans l’au-delà.

Valentin Ferré
Hauntology

Le développement sans précédent des technologies sans fils, des téléphones cellulaires, a créé l’accroissement d’ondes radio se propageant dans les airs, traversant, tels des fantômes, les murs et nos corps; une sphère électromagnétique éthérée que l’on imagine comme lieu de prédilection d’habitation de présences surnaturelles.

Valentin Ferré, grâce à un ingénieux dispositif de radios appartenant à une autre époque et d’ampoules basse consommation, nous révèle l’existence de ces présences subtiles.

Les flash lumineux, les drones et crépitements électriques diffusés par les vieux postes nourris des champs dégagés par les ampoules évoquent la «musique moléculaire» décrite par Thomas Alva Edison ou encore le doux drone de la machine fantastique décrite par H.P. Lovecraft.

Edison plus connu pour être l’inventeur du phonographe, évoque la «musique moléculaire» à propos du son émis par les transducteurs à charbon contenus dans les téléphones. Selon lui, cette musique était à l’échelle de ce qu’il appelle les «Life Units». Celles-ci seraient, selon plusieurs déclarations de l’inventeur, organisées en essaims qui constitueraient la partie éternelle de chacun de nous subsistant par-delà la mort.

Edison aurait d’ailleurs mené un projet visant à la construction d’une machine, la «Valve», destinée à communiquer avec les morts en amplifiant l’énergie produite de ces essaims trop faible pour être perçue par nos sens. Il est possible que l’écrivain H.P. Lovecraft ait eu vent des dires d’Edison.

Dans sa nouvelle parue en 1920 (la même année que les déclarations d’Edison), sous le titre From Beyond, l’auteur décrit une machine, une sorte de résonateur électrique, capable de stimuler la glande pinéale située dans le cerveau. Mise en fonction, elle produisait un doux bourdonnement et donnait à ceux placés dans ses environs le pouvoir de percevoir d’autres dimensions échappant à nos organes sensoriels trop limités.

Les déclarations d’Edison, tout comme la nouvelle de Lovecraft témoignent chacune à leur niveau des effets liés à l’invention de la communication à distance rendue possible par l’électricité. La machine permettait un élargissement du champ perceptif et une reconfiguration de la dualité corps / esprit. Le premier pouvait, grâce à l’électricité et aux nouveaux moyens de communication, excéder ses limites, sortir de lui-même. Le second, en conséquence, s’ancra dans le monde physique, car la télécommunication rendait possible, par des moyens techniques, ce qui semblait revenir auparavant à des forces immatérielles et relevant du surnaturel.

Plus encore, comme le note Edison, ce qui constituait la part immatérielle de l’homme acquit une certaine pesanteur en se résumant à d’infimes particules. D’une part, le corps se dématérialisa via la machine, et dans le même temps l’esprit acquit une certaine matérialité. Dans cette reconfiguration, l’électricité jouait le rôle de fluide universel, concrétisant ainsi les théories de Mesmer sur ce qu’il appelait le magnétisme animal.

Celles-ci furent en partie remises au goût du jour au 19ème siècle par Edgard Allan Poe. Dans Révélations magnétiques, l’auteur nous apprend qu’un homme par sa seule volonté peut impressionner son semblable en lui conférant la possibilité de percevoir des objets hors de sa portée et de fortifier formidablement ses facultés intellectuelles. Au cours d’un autre récit, La vérité sur le cas Valdemar, le magnétisme permet cette fois-ci de maintenir un patient juste décédé dans un état transitoire et de continuer à communiquer avec lui par-delà la mort.

Les croyances en un outre- monde, loin d’avoir perdu de leur vigueur, furent au contraire ravivées par la télécommunication désincarnée, et l’histoire des médias modernes semble inextricablement liée à la recherche de preuves de l’existence d’une après-vie, d’une force immatérielle unissant l’humanité ici-bas et dans l’au-delà.

Il n’y avait alors du temps d’Edison qu’un petit pas à franchir pour associer la télécommunication à la télépathie, l’amplification à la possibilité de percevoir un au-delà échappant à nos sens, et l’enregistrement sonore au pouvoir de perdurer par-delà la mort.

Le XXe siècle n’est d’ailleurs pas en reste dans ce domaine. La même fascination pour la communication avec l’outre tombe se manifeste chez F. Jürgenson et R. Konstantine. L’un et l’autre prétendent pouvoir capter à l’aide de radios les voix de fantômes disséminées dans les airs, qu’ils appellent EVP (Electronic Voice Phenomenon).

Plus proche de nous et s’inspirant des travaux de Raudive Konstantine, les artistes Robin Rimbeau (aka Scanner) et Mike Kelley, pour leur oeuvre Esprits de Paris, placèrent dans des lieux théâtres d’événements paranormaux des enregistreurs micros fermés. Le résultat, ralenti et fortement amplifié évoque indéniablement les enregistrements opérés par Raudive Konstantine. On s’attend à tout moment à entendre émerger de ces parasites sonores des voix venues d’un autre monde.

Le dispositif mis en place par Valentin Ferré hérite de cette tradition aussi bien pseudo-scientifique qu’esthétique. Les radios nous donnent accès à ce monde éthéré de champs électromagnétiques, rendant présent l’invisible. Un monde devenu consubstantiel au notre, fluctuant entre présence et absence, perceptible et imperceptible.

Un monde créé par la technologie sans fils et accessible uniquement par cette même technologie. Il n’est aujourd’hui plus un lieu qui ne soit «hanté» par ces présences éthérées.

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