DANSE | CRITIQUE

Ha ! Ha !

PCéline Piettre
@08 Mar 2008

Y a-t-il un rire bienveillant, un rire innocent ? Quel monstre se tapit dans les soubresauts du rire, ose soumettre le corps à cette agitation spasmodique ? La pièce de Maguy Marin est aussi dérangeante que surprenante. Théâtrale et sociologique, elle révèle la dimension morbide du divertissement.

Maguy Marin s’entendrait bien avec ce cher vieil humaniste italien Baldassare Castiglione, convaincu que « le style commun de notre rire est toujours la dérision et le mépris ». Ainsi en est-il des interprètes de Ha ! Ha !, dont les costumes sombres et les attitudes guindées cohabitent avec une hilarité débordante, surdimensionnée, qui n’a du jovial que l’apparence.

Installés sagement devant leurs pupitres, feuilletant une partition pour zygomatiques, ils s’interpellent à grand renfort d’histoires drôles et de « tu la connais celle là ? ». La plupart d’entre elles sonnent familièrement à nos oreilles, et révèlent peu à peu, au-delà d’une grivoiserie de circonstance, leur caractère dédaigneux, sexiste, raciste…

Et pourtant, on se laisserait bien contaminer par cette bonne humeur ambiante, séduits par ces cascades de rires francs, gloussements et autres grognements de plaisirs. Toute une gamme harmonique d’aigus, de graves, de timbres singuliers qui se répondent dans une polyphonie euphorique. La chorégraphe serait-elle devenue musicienne ? Tout nous porte à le croire, des éclats de voix aux pulsations régulières du métronome qui bat discrètement la mesure de la pièce depuis le lever de rideau. A l’exception près que la mélodie jouée ici n’est pas celle du bonheur. Loin de là.

Car chez la chorégraphe le rire déferle en salves, comme on tire à la mitraillette. N’est-il pas à l’origine des corps qui s’écroulent au fond de la scène — dans un fracas du diable —  brisés par des projectiles invisibles mais néanmoins réels. On dit que les mots tuent, il semblerait que le rire aussi… même si ceux qui tombent sont déjà morts, personnages fictifs, simples mannequins posés là en attente d’une extermination prochaine.

Finalement, ce tic tac incessant est lugubre. Nous assistons à un acte de destruction en bonne et due forme, à un anéantissement progressif par le rire ? Ou comment l’on se divertit de l’autre, de sa différence, de ses faiblesses. Sur la scène, deux mondes s’opposent : celui des « rieurs », biens nourris et biens pensants,  ostensiblement exposés à la lumière et l’autre, relégué dans l’ombre, avec sa masse compacte d’exclus, de souffrants, de démunis.

Le pire dans tout cela, c’est qu’il est facile de s’identifier à ces joyeux drilles, à ces petites railleries du quotidien, à ces blagues gentiment mesquines, involontairement féroces. Ni rictus, ni grimaces, ni propos impardonnables. Maguy Marin reste dans la mesure. Elle s’inspire de la vulgarité banale et des amusements du samedi soir pour faire de sa pièce un petit théâtre de la cruauté ordinaire. Pour le moins efficace.

D’autres lui reprocheront sa brutalité, son moralisme primaire — et culpabilisant —, son minimalisme chorégraphique. Mais personne ne pourra lui enlever sa justesse. Et son indéniable tolérance.

La danse résiste. C’est tant mieux…

20h30, 7 danseurs, création

— Création de : Maguy Marin
— Costumes et réalisation des mannequins : Montserrat Casanova assistée de Chantal Cloupet
— Lumières : Gilbert Guillaumond
— Concepteur son : Antoine Garry en collaboration avec Ulises Alvarez, Teresa Cunha, Jordi Galí, Cathy Polo, Jeanne Vallauri, Vania Vaneau,Vincent Weber

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