ART | CRITIQUE

Guy Ben-Ner, Vidéos / Roland Flexner, Encres imagées

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Guy Ben-Ner filme sa cellule familiale avec un humour burlesque, inspiré de la grande époque du slapstick (farce bouffonne). Portrait de l’artiste en père de famille… Les Encres imagées de Roland Flexner sont de fugitives visions d’un monde lunaire, réalisées selon la technique japonaise du suminagashi.

L’univers artistique de Guy Ben-Ner est ancré dans sa cellule familiale: son appartement fait office de décor, ses enfants, sa femme, et lui-même sont ses seuls acteurs. La galerie Nathalie Obadia présente pour la première fois en France trois vidéos de cet artiste israélien, burlesques et réalistes.

Wild Boy est l’histoire de l’éducation de son fils, Amir. L’œuvre s’efforce de saisir ce moment charnière où l’enfant perd sa part de sauvagerie, sa familiarité insouciante avec le monde des animaux.

Avant de pouvoir plier Amir à la discipline de l’étude, encore faut-il le capturer. Les premières scènes montrent l’enfant fuyant à travers l’appartement en courant. Quelques animaux déambulent eux aussi dans l’appartement: leur présence imprévue confirme cette parenté encore prégnante entre l’enfant et l’animal. Le titre fait référence au film de Truffaut: dans L’Enfant sauvage comme dans Wild Boy, l’éducation est un processus quasi disciplinaire de la civilisation. L’enfant est domestiqué, son énergie canalisée. Ses jeux sont détournés au bénéfice de l’apprentissage.
Une scène signe le point de départ de ce processus: capturé, Amir est soumis au même rite qu’à l’armée, la tondeuse du coiffeur. Ses cheveux bouclés tombent mèche par mèche sur le sol de la cuisine: l’éducation imprime sa marque sur le corps de l’enfant, le dépossède de ses attributs enfantins.

Toute une partie du film se déroule dans un complet silence. Avant que l’enfant sache parler et utiliser les sons que son père lui apprend, le film est condamné à être muet. Le premier mot prononcé par Amir surgit comme un véritable événement: mother !

La vidéo est diffusée au sein d’une installation: une moquette verte recouvre le sol de la pièce, reproduisant la mise en scène de l’appartement de l’artiste. Cette mise en abîme accentue l’effet d’immersion à l’intérieur du film, et déjoue les repères traditionnels de la projection cinématographique.
Un sentiment d’exiguïté se dégage de cet appartement où prend fin la course de l’enfant: House Hold l’accentue pour le transformer en véritable cauchemar d’enfermement.
La vidéo a été tournée quelque années plus tôt, alors qu’Amir était encore bébé, et dormait dans un lit entouré de barreaux. Guy Ben-Ner s’immisce sous son lit, se blottit à l’ombre de ce sommeil paisible pour d’obscures raisons, jusqu’à ce que le bébé se mette à pleurer. Sa mère vient le chercher, et baisse alors les barreaux relevés pour le saisir.
L’armature retombe sur l’artiste emprisonné, qui semble accepter la situation avec patience. Un simple cri aurait sans doute suffi à faire revenir sa femme, mais Guy Ben-Ner est ici un personnage du burlesque, et ce cri lui est impossible. En digne acteur de slapstick, il se tient aux contraintes d’un genre muet.
De l’intérieur de cette prison minuscule, il s’agit donc de trouver un moyen de se délivrer, sans autre recours que les maigres ressources du bord. Ce Robinson burlesque n’a que son corps pour outil et matière.

L’enfermement du père fait pendant à la domestication de l’enfant sauvage. Elle renvoie à la situation réelle de l’artiste, contraint de concilier les responsabilités paternelles et les contraintes de la création. Guy Ben-Ner a choisi de travailler chez lui pour rester auprès de ses enfants, mais ce choix est un compromis passé entre le père et l’artiste, dont il fait le sujet même de son travail.

La Galerie Nathalie Obadia expose également les Encres imagées de Roland Flexner, dont les motifs méandreux évoquent des paysages lunaires.
Ces encres sont réalisées selon la méthode japonaise du suminagashi, avec laquelle Roland Flexner a appris à travailler lors d’un long séjour à Kyoto en 2004. Les papiers sont trempés dans un bain d’eau mêlée de pigments sumi. Une fois extraits du bac, l’artiste n’a que quelques secondes avant qu’ils sèchent pour agir sur la surface encrée, en utilisant différents procédés de soufflage et de tamponnage.

Quelques formes émergent de ces encres saturées, dessinant les replis sombres d’un monde onirique. L’apparence végétale se confond avec les figures minérales et animales: ces images apparaissent comme des visions fugitives, pour disparaître parfois au second coup d’œil.

Guy Ben Ner
— Household, 2001. Vidéo. 22 mn 35.
— Wild Boy, 2004. Vidéo, installation. 17 mn.

Roland Flexner
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.
— Sans titre, 2005-2006. Encre Sumi sur papier. 38 x 42 cm.

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