DANSE | INTERVIEW

Gustavia

PStéphane Bouquet
@04 Avr 2013

Avec Gustavia, Mathilde Monnier et La Ribot se livrent à un face à face, en prenant le parti de «s’appuyer sur les objets classiques utilisés au théâtre: les entrées, les rideaux, le bord de la scène, la salle, les chaises, la profondeur de champ mais aussi le comique comme forme de relation, comme regard ironique et distancié sur le monde».

Mathilde Monnier et La Ribot

Vous souvenez-vous quels étaient les enjeux lors de la création de Gustavia?
Mathilde Monnier. Je me souviens qu’au début de nos premières séances de travail avec Maria, j’avais suggéré de travailler sur les clowns et Maria avait tout de suite dit que cela ne lui plaisait pas comme idée. Mais cela a très vite donné lieu à des discussions sur l’humour, la femme, l’artiste. Avec ses trois paramètres réunis ensemble, nous avions l’impression de tenir quelque chose qui était un bon départ.
Nous avons regardé le film de Fellini, Les Clowns, et par la suite Maria qui connaît bien la scène anglaise a apporté des références de ce côté-là. Un autre point de départ a été comment chacune travaillait, avec quelle méthodologie et là nous avons vite vu nos différences d’approche. Nous avons alors décidé qu’il fallait construire une troisième voie de travail pour nous deux pour ce spectacle et que cela nous obligerait à nous rapprocher. Nous avons inventé une forme de travail par imitation l’une de l’autre. Cela nous a amené à créer à la fin un seul personnage commun.

La Ribot. Oui l’idée de clown, je n’en ai pas beaucoup aimé le principe, trop près de moi, même si je n’avais jamais thématisé cette figure dans mes spectacles. La figure du clown, un homme seul, déguisé, violent, qui fait peur, d’abord… mais aussi une figure sentimentale, anti-héroïque et nostalgique… Cette figure est à l’horizon de mon travail mais je ne voulais pas m’y confronter de face. En fait, nous avons travaillé l’une face à l’autre, très intense —théâtralement parlant. Pendant deux mois, nous avons fait l’exercice de nous observer, copier, amplifier, déconstruire etc., l’une l’autre… Nous avons construit dans un territoire commun pour partager toutes les choses trouvées et ainsi nous sommes arrivées à une femme à deux têtes, quatre jambes, quatre bras, une femme multiple qui se déploie, immatérielle, dans l’imaginaire, avec ses longues jambes et sa longue langue… Gustavia.

Il me semble que Gustavia est concerné par le statut de la femme, était-ce dans votre idée une pièce politique?

La Ribot. Politique cette anti-héroïne multiple? Oui, probablement très politique… On le voit avec les années. Partout les Gustavia se multiplient et se multiplient…

Mathilde Monnier. Une des choses importantes pour nous dès le début était de dire quelque chose sur le monde, sur nos positions d’artiste, sur ce que nous vivons chacune dans ou à côté de notre travail. Et une autre de nos idées était qu’il ne suffisait pas de trouver la forme pour la performer mais qu’il fallait le dire avec des mots, le parler. Ce passage au texte est devenu très important et même essentiel dans notre démarche. Chaque jour, nous nous essayions à parler en improvisant ou en apportant des textes. À la fin nous avons trouvé cette forme
où toutes les phrases commencent par «une femme…» et c’est devenu une sorte de déclaration de nos points de vue sur les femmes. Notre idée était de dépasser le point de vue féministe, de ne pas nous enfermer dans le féminin mais bien au contraire d’être dans une dimension plus large, plus politique et sociale. Dans une partie de la pièce, nous brossons des portraits de femme avec beaucoup de paradoxes mais qui sont pris dans le réel à chaque fois. Par exemple, il y a ce passage où l’on parle d’une femme qui joue de la guitare à la République et dans le même temps il y a une femme noire à la Maison Blanche… C’est à la fois un point de vue critique sur l’image des femmes et en même temps une ode aux femmes, à leur statut.

Le spectacle a été crée il y a quelques années maintenant, comment a-t-il évolué? S’est-il déplacé avec le temps?

Mathilde Monnier. Le spectacle a beaucoup tourné dans le monde car nous faisons aussi une version en anglais que j’aime beaucoup. Shakespeare en anglais c’est une forme de jouissance de la langue. Dernièrement nous avons joué à Varsovie et nous avons fait une forme d’hommage à Kantor qui a été un des grands inspirateurs pour toutes les deux. Donc le spectacle évolue surtout dans l’interprétation.

La Ribot. Depuis la première, oui, nous avons changé des choses, mais en même temps Gustavia reste assez éternelle, change en permanence sans changer… On fait des arrangements, oui, en permanence… en restant pareilles… Nous avons encore du plaisir à interpréter les rôles… Il faut jouer à fond pour faire Gustavia… un jeu théâtral, en représentation, sans prétention ironique ou théorique…

Ce spectacle a-t-il eu une influence sur vos créations ultérieures?
La Ribot. J’ai commencé un jour avec mes premières pièces… et je continue encore en accumulant tout… oui, je «bois» encore du Gustavia. Ma relation avec le corps, qui est plus vivante maintenant, ma relation à la parole, moitié improvisée, moitié super travaillée et très attentive à l’instant… Ma relation avec Mathilde que j’admire de plus en plus… C’est cela continuer: un détachement des choses qui me sont chères et un renouvellement permanent…

Mathilde Monnier. Gustavia vit encore et c’est toujours difficile pour moi de passer à autre chose. Surtout quand je danse dedans, il faut se défaire comme on enlève un vêtement qui est collé à vous. Cela prend plusieurs mois. Mais aussi l’influence de Maria a été forte et je pense qu’elle m’a aidé à mieux penser le rapport au temps, au timing. Comment faire durer une scène, une idée, comment insister et soutenir le regard du spectateur? Ça, je l’ai retenu de Maria qui a un rapport très fort avec la dramaturgie et le temps. D’ailleurs ma dernière pièce dure deux heures.

Entretien réalisé par Stéphane Bouquet en octobre 2012
Avec l’aimable collaboration du Théâtre de la Cité Internationale.

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