ART | INTERVIEW

Guillaume Leblon

PElisa Fedeli
@30 Sep 2011

Rencontre avec l’un des quatre nominés au prix Marcel Duchamp 2011. Si la critique situe volontiers son travail dans la veine de l’art conceptuel, Guillaume Leblon contredit cette interprétation et revendique au contraire une charge plus humaine. Prochainement, une exposition personnelle à la Fondation d’entreprise Ricard (15 nov.-23 déc.) permettra d’en juger.

Si les oeuvres de Guillaume Leblon revêtent des atours minimaux et interrogent la perception de l’espace, elles renferment aussi une charge émotionnelle. L’artiste pratique la sculpture à partir d’objets de récupération. Il crée des effets de patine, dont sourd une tonalité mélancolique liée au temps qui passe.

Elisa Fedeli. Vous pratiquez la sculpture, l’installation mais aussi le film 16 mm et la performance. Dans Temps libre (2001) par exemple, vous sautez dans le vide depuis un immeuble de la ville d’Arnhem en Hollande. Quels liens faîtes-vous entre toutes vos pratiques? Vous est-il possible de les résumer en quelques problématiques communes?

Guillaume Leblon. Non, pas du tout car je ne fonctionne pas par concepts ou idées.

Pourtant la critique a référencé votre travail dans la continuité de l’art minimal et de l’art conceptuel…
Guillaume Leblon. Je ne sais pas comment ces choses sont apparues. C’est dingue, j’ai comme l’impression qu’on ne peut pas y échapper! Il y a beaucoup de discours sur l’art qui font des généralités. L’art minimal est devenu un lieu commun, une chose facile sur laquelle s’appuyer. C’est aussi une question de génération: il y a forcément cette référence-là par rapport à mon âge. Pourtant, je ne me suis jamais déterminé par rapport à cela et je ne nourris aucune passion particulière pour l’art minimal.

Quels sont alors les mouvements ou les artistes qui vous ont le plus influencé?
Guillaume Leblon. Ce n’est pas l’art minimal, qui est pour moi quelque chose d’autocentré, mais les artistes qui procèdent de l’art minimal et en ont fait autre chose. L’oeuvre de Feliz Gonzales-Torres, exposé à l’ARC quand j’étais étudiant, est ma plus grande émotion. Il y a aussi Barry Le Va, qui travaille en même temps que les artistes minimaux mais dont l’oeuvre a une dimension humaine. Et Robert Gober.
L’Arte Povera m’intéresse beaucoup plus que l’art minimal car c’est une forme d’art généreuse dans sa mise en œuvre et sa transmission.

Vos sculptures jouent souvent sur des effets d’échelle et empruntent à l’esthétique maquette (L’arbre, 2005; série des Maisons sommaires, 2008). Quel est votre rapport à l’architecture?
Guillaume Leblon. Le rapport de l’oeuvre à son image a beaucoup existé dans mon travail. J’empruntais souvent mes titres à des illustrations d’architecture, afin de situer spatialement le spectateur par rapport à l’objet regardé. Mais l’architecture ne m’intéresse pas en tant que telle. Elle m’intéresse parce que j’y habite. Les effets d’échelle sont pour moi un moyen de jouer avec le corps du spectateur, qui a lui aussi une échelle définie dans l’espace. Ce qui me paraît fondamental dans mon travail, c’est la manière dont les objets interrogent le corps du spectateur, comment ils habitent l’espace et quelles stratégies je déploie pour les faire exister dans des espaces donnés, à chaque fois différents.

Actuellement, pour vos sculptures, vous travaillez à partir de meubles récupérés. Qu’est-ce qui retient votre attention sur ces objets?
Guillaume Leblon. Je choisis toujours des meubles dont la fonction première est de présenter des espaces: l’étagère, le meuble à pharmacie ou le meuble à papeterie servent d’abord à stocker et à classer. Certains ont des rangements numérotés, des vitrines. Ils viennent ensuite structurer l’oeuvre, l’architecturer.

Depuis 2009, vous concevez vos sculptures comme des assemblages, où viennent se rencontrer des éléments de différentes provenances. Ces oeuvres sont plus complexes en terme de structure que vos précédentes. Ces «sculptures-structures» obéissent-elles à une logique précise?
Guillaume Leblon. Ce mode de travail correspond à une autre façon de travailler dans l’atelier. Je ramène à l’intérieur des éléments trouvés à l’extérieur. Avant que les choses ne s’imposent d’elles-mêmes, ces éléments restent souvent très longtemps dans l’atelier. Ce sont donc des sculptures basées sur l’idée de collage et de stratification dans le temps, qui ne sont pas liées à une intuition ou à un geste.

Diriez-vous que votre travail relève d’une sorte d’«archéologie du présent»?
Guillaume Leblon. Ces sculptures réunissent une collection de choses, qui sont aussi compréhensibles individuellement. Elles laissent des indices, et beaucoup de fausses pistes aussi. C’est un peu banal de parler d’enquête. Pour percevoir n’importe quelle sculpture, il faut faire ce travail: regarder comment l’oeuvre est faîte, à quoi elle renvoie.

Dans la série des Chrysocales (2006), vous opérez la dissimulation volontaire de certaines de vos oeuvres. Pourquoi?
Guillaume Leblon. C’est un travail typiquement égyptien et assez simple. Au delà de leur apparence et de leur surface, ces oeuvres trouvent leur raison d’être dans leur contenu. Chaque Chrysocale renferme différents niveaux d’oeuvres et renvoie à des projets spécifiques, à travers des recherches, des maquettes, des croquis, etc. Elles sont là pour l’éternité et contiennent l’idée de la redécouverte. Mais aussi celle de la tromperie, de l’illusion. Rien ne prouve en effet que la densité du travail existe.

Dans vos oeuvres, on retrouve souvent des éléments naturels (comme le sable, la terre, les coquillages) ou des phénomènes physiques (comme la fonte d’un cube de glace dans Punishment, 2008). Quel est votre rapport à la nature?
Guillaume Leblon. C’est le même que mon rapport à l’exposition. Pour moi, il n’y a pas de différence entre le fait de se promener dans un paysage et dans une exposition. Trois ou quatre moments relient la déambulation et la pensée. Le premier, qui est l’origine de l’oeuvre, c’est le paysage, qu’il soit naturel ou urbain. Puis, vient le temps de l’atelier et, enfin, celui de l’exposition. Très tôt dans mon travail, j’ai essayé de ne pas hiérarchiser ces différents temps et de les laisser apparaître dans l’exposition comme parties d’un tout.
Je n’ai pas de concept pour expliquer mon utilisation d’éléments naturels; je travaille simplement avec les éléments qui m’entourent. Je suis souvent en Normandie à la plage. C’est pour moi un paysage très premier. Du crabe vivant aux grains de sable, il y a un temps vertigineux de transformation qui me fascine.

Vous êtes nominé par l’ADIAF pour le prix Marcel Duchamp 2011. Quelle proposition allez-vous faire?
Guillaume Leblon. Ma proposition sera constituée de deux monolithes en laiton, dont les dimensions sont à l’échelle d’un corps humain. Sur chacun, un des quatre côtés sera recouvert d’une surface organique, obtenue par coulage à même le sol. L’oeuvre concentre plusieurs moments où des paysages différents se rencontrent pour n’en former qu’un seul. Cette pièce pour la FIAC, c’est aussi cela: une contraction temporelle concentrée dans un monolithe.

AUTRES EVENEMENTS ART