ART | CRITIQUE

Guet-apens

PJulia Peker
@12 Jan 2008

Conçue comme un guet-apens, une exposition prend une puissance dramatique et ironique: son dispositif est une stratégie, amorcée par un réel travail d’équipe. L’œuvre n’est pas un objet de salon, mais un piège tendu aux usages routiniers de la perception, jouant le jeu de l’illusion pour prendre le réel en otage.

L’originalité de l’exposition organisée par Stéphane Thidet à La Générale est de se penser et se présenter comme une embuscade. Le coup a été monté avec la complicité de neuf artistes, avec le projet de s’emparer de l’espace du bâtiment. La mission est de rejouer sur un mode proprement artistique la bataille politique de l’occupation des lieux.

Que l’art prenne le spectateur au piège de ses illusions, ce n’est pas nouveau, mais un tel mécanisme ne marche qu’à passer sous silence ses rouages. En se présentant avec ostentation comme une embuscade, l’exposition prend le parti de mettre à nu sa stratégie, et s’expose véritablement.
Ce dispositif est d’abord un plan, dont l’ébauche nous est donnée sur papier: chacune des œuvres est un élément d’un ensemble pensé comme un tout, un indice nous permettant de nous orienter dans l’espace. Le plan de cette exposition est la cartographie d’une embuscade, et non le catalogue d’une succession d’œuvres.

La première chose pour monter un coup est d’avoir un plan: ce plan nous est donné dans la salle des archives, à laquelle on accède en poussant un mur de pierre coulissant, Passe Apache.
Stéphane Thidet expose dans cette pièce caverneuse une maquette de l’exposition, un plan au double sens du terme. Le projet n’est autre que le plan de La Générale, une mise en scène de l’espace du bâtiment. La maquette reproduit en miniature les conditions spatiales à respecter, les contraintes à exploiter. Elle témoigne de cette phase préparatoire où les artistes se sont réunis pendant deux jours et deux nuits dans l’isolement, pour monter ensemble ce coup à La Générale.

Les grandes sculptures en bois aggloméré de Sarah Fauguet et David Cousinard reprennent des éléments d’architecture métalliques, les poutres du plafond et les grilles des fenêtres extérieures. Aussi monumentales soient-elles, ces pièces s’intègrent pourtant au décor sans l’écraser. En reprenant les éléments du lieu comme un motif de travail, elles s’insèrent en lui et le prolongent.

L’installation de Joséphine Faure est aussi ironique qu’inquiétante: une main de femme surgit d’une vaste étendue de sable, s’avançant vers un sac, à l’intérieur duquel sonne un téléphone portable. Ces sables mouvants suggèrent une profondeur insoupçonnée, dont on s’aperçoit en regardant la maquette qu’elle est bien réelle: Going Under est implanté sur un espace qui était une cuve. Ce creux bien réel prend ici une dimension abyssale, relayée par le fantasme des sables mouvants.

A cette menace au sol fait écho un bruit inquiétant, provoqué par le mouvement effréné d’un lustre suspendu. Lancé à folle allure quand on appuie sur l’interrupteur permettant de l’allumer, ce lustre suscite une peur bien réelle. Le sourire amusé s’efface un moment à l’idée que ce projectile pourrait s’effondrer: le guet-apens n’est peut-être pas si drôle.

Ce va-et-vient entre le réel et l’illusion est au cœur de l’embuscade, et le coup monté de Julien Prévieux porte à son comble la curiosité et l’étonnement. Sur le mur sont exposées les empreintes digitales du ministre de l’Intérieur. Le grand contrôleur des identités, spécialiste des faux-semblants, ce commissaire d’un bien autre genre que Stéphane Thidet, est ici pris à son propre piège, traqué par l’artiste. On hésite à voir dans ce traquenard une plaisanterie ou un guet-apens bien réel.
Ces zones confuses nous confrontent à une indécidabilité troublante, et ce brouillage des repères est une des grandes réussites de cette exposition.

Au Plateau, Julien Prévieux présente «La Position du tireur couché». Cet espace expérimental est à l’autre extrémité de la valise matricielle de «Guet-apens»: les artistes se retrouvent ici après avoir monté leur coup. La pièce est peinte comme un parking, dans lequel chacun a déposé et abandonné des œuvres-valises. Une valise abandonnée est toujours un objet mystérieux, doué d’une vie inquiétante, témoin d’une histoire silencieuse.
Stéphane Thidet expose ici une autre valise, ouverte, éclairée de l’intérieur par une lumière forte, vide et éblouissante.

En exposant ce cortège de valises, le piège se referme sur une énigme, et l’exposition s’ouvre sur l’aventure d’un parcours.

Virginie Yassef
— Passe Apache, 2006. Sculpture. Résine, bois, métal. 2 m x 2 m x 1 m.

Joséphine Faure
— Going Under, 2006. Installation. Sable, silicone, cuir. 4 m 60 x 3 m 20 x 1 m.

Sarah Fauguet et David Cousinard
— S.A.S, série «Panneaux particules», 2006. Sculpture. 2 m 70 x 1 m 30 x 1 m 50.
— Azimut zéro, série «Panneaux particules», 2006. Sculpture. 3 m 25 x 3 m 50 x 3 m 80.

Julien Berthier
— Revolution Light, 2006. Installation. Lustre, moteur. Dimensions variables.

Pierre Ardouvin
— Le Petit feu, 2006. Sculpture. Cageot, ampoules flammes. 30 cm x 50 cm x 20 cm.

Julien Prévieux
— Dactyloscopie (empreintes du ministre de l’intérieur), 2006. Empreinte. Bristol, scotch, empreinte. 10 cm x 14 cm.
— BAD, 2006. Peinture murale. Peinture. 1 m 50 x 1m.

Stéphane Thidet
— Premièrement, avoir un plan (outil d’élaboration de l’exposition Guet-apens), 2006. Bois, ruban adhésif, poignée métallique. 120 cm x 80 cm x 30 cm.

Jean Bedez
— Game Over, 2006. Installation. Bois, enduit, peinture, néons. 12 m x 3 m.

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