ART | CRITIQUE

Group Show

PCaroline Lebrun
@22 Mai 2003

Même poétique de l’ordinaire, même parti pris de simplicité dans les photographies exposées de Anders Edström que dans celles qu’il réalise pour la mode. Dans la vidéo de Rebecca Bournigault, les entretiens individuels d’adolescents alternent avec des plans de vie quotidienne.

Exposition collective, « Group Show » rassemble — dans des espaces clairement séparés des photographies de Anders Edström et une vidéo de Rebecca Bournigault. Elle présente également en annexe des photographies de Tobias Putrih ainsi que deux sculptures de Gavin Turk. D’apparence disparate, l’exposition sonde individuellement le travail de chaque artiste.

La première pièce accueille les photographies de Anders Edström, réunies sous le titre Par exemple quelques pigeons. Variation d’instantanés, sélection de moments de grâce, l’exposition offre une vision intime du travail d’Anders Edström.
Repéré par le styliste Martin Margiela en 1994, lors de l’exposition « L’Hiver de l’amour » organisée par le magazine de mode Purple au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Anders Edström est aujourd’hui devenu l’un des principaux photographes de mode de Purple. Il photographie ce qui le frappe en suivant sa sensibilité, sans artifice.
Sa production dans l’art contemporain se fait sans rupture avec son travail pour la mode : même poétique de l’ordinaire, même parti pris de simplicité.

Nous découvrons ici l’univers familier de l’artiste : des portraits de ses enfants, les rues de Londres, des vues de Venise, des moments volés en plein air (un papillon aux ailes déployées, des canards s’ébrouant, une toile d’araignée tissée de lumière, ou « par exemple quelques pigeons », pour reprendre le titre de l’exposition).
Privilégiant en majorité les petits formats, l’exposition immobilise des instants de vie : le saut d’une fillette sur le trottoir, une passante dans la rue, des personnes à l’arrêt de bus.
Deux photographies juxtaposées cadrent le même carrefour urbain. L’angle de vue est le même : seule change la circulation des véhicules et le mouvement des piétons. Avec le même principe de juxtaposition comparative, on assiste au changement des saisons. Deux séries d’arbres sont regroupées en triptyques : trois vues de branchages dénudés font écho à trois vues d’arbres en fleurs. On reconnaît le cadrage identique et c’est pourtant le passage qui se trouve illustré.

Les photographies sont accrochées au mur ou posées, par petits ensembles de deux ou trois, sur d’étroites étagères. Cette disposition évite l’écueil de la mise en scène froide et participe à l’atmosphère intimiste. Il s’agit de « photographies souvenirs » qui dans leur simplicité et leur sensibilité particulière nous semblent d’emblée familières.

Une salle obscure, toute blanche, est consacrée à l’œuvre Vive de Rebecca Bournigault. La vidéo est projetée sur un mur entier : elle suit une femme en train de monter l’escalier, de franchir différents seuils en une succession de portes rouges et closes. Nous pénétrons dans un appartement. Le silence est rompu par un constat : « Bah, alors, tu ne dis rien ? ». Une crise de couple éclate. Les accusations d’adultères servent de prétexte à une remise en cause profonde de la relation conjugale. La suspicion fait violemment place au doute jusqu’au malaise. Le plan séquence semble être filmé au ralenti : les images se succèdent avec lenteur et les mouvements se décomposent de manière extrêmement saccadée. La conversation n’est pas synchronisée avec les images. Le décalage et les effets de flou font écho à l’absence de lisibilité d’une relation qui ne trouve plus son sens.

La vidéo s’ouvre sur un questionnement existentiel qu’elle décline à travers plusieurs portraits d’adolescents et de jeunes filles qui s’expriment sur leur raison de vivre, leur définition du désir. Les questions ne sont pas posées oralement et nous ne voyons que la personne interviewée. Le dialogue est tronqué en monologue : c’est la caméra qui interroge. Les adolescents tentent de répondre en formulant leurs propres questionnements. Le discours est clairsemé de silences et d’hésitations.

Les portraits frontaux en plans fixes sont des esquisses de portraits psychologiques et sociologiques. L’artiste extrait la vulnérabilité des personnages face à la caméra et laisse s’exprimer un doute profond sur la condition et la quête de chaque individu. Le récit n’est pas linéaire, il est éclaté en plusieurs portraits et scènes de vie.
Les entretiens individuels d’adolescents alternent avec des plans de vie quotidienne coupés au blanc : plan sur un visage endormi, portraits mouvants de couples enlacés, scène de vie familiale, gros plan de fin sur un tatouage. Le discours est relayé sans cesse par l’image. Ces changements constants d’interlocuteurs, la succession de plans discontinus permettent de ne jamais rester dans l’interrogation individuelle et de s’inscrire dans un questionnement existentiel qui dépasse l‘anecdote ou la fiction. .

Anders Edström :
— Sans titre, série Par exemple quelques pigeons, 1996-2003. Photos couleur : 20,70 x 30,70 cm; 26,50 x 39,50 cm; 35,50 x 52,50 cm; 72 x 104,50 cm.

Rebecca Bournigault :
— Vive, 2003. Vidéo Installation, 20’ en boucle.

Tobias Putrih :
— série cinéma solution‰. 4 photos.

Gavin Turk :
— Suckers Succour, 2003. Installation sculpture.
— Manner Manna, 2003. Installation sculpture.

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