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Goodbye

Ca y est. François Daireaux a posé bagages. Il a cessé de parcourir le monde, pour une halte dans l’abbaye cistercienne de Maubuisson. C’est ici que se rencontrent pour la première fois toutes ses images, toutes ses pratiques, de la vidéo à la sculpture en passant par la photographie.
Ses errances prennent forme dans un agencement en résonance avec l’histoire de l’abbaye. Ironie de l’art qui affiche les souvenirs d’inlassables promenades, face à l’immobilisme des sœurs, cloîtrées dans un silence monacale. Mais l’errance solitaire de François Daireaux aurait presque quelque chose de la méditation religieuse.
Observateur, promeneur, de la Grange à Dîmes à la salle des anciennes latrines qui conclut ce voyage, l’artiste n’a de cesse d’amener aux confins de la réalité, à la limite de son abstraction, à une réflexion sur notre regard.

Le voyage commence dans le tumulte d’une grande artère tracée dans le sol terreux de la Grange à Dîmes comme dans une allée de marché. Le son des gestes répétés frénétiquement et les dix panneaux vidéo grands formats diffusant 78 séquences différentes, assaillissent l’ouie et le regard.
Du massage au nettoyage des vitres, de l’art de dépouiller les grenouilles à celui du tressage de bambou, tout ces gestes rapides et maîtrisés se répètent inlassablement. Jusqu’à ce que tous ces fragments trouvent leur cadence. Le savoir-faire se réduit alors aux gestes des mains, à la dextérité, pas de visages, pas de contexte, juste le mouvement, juste ce qui se fait.
Galerie de 78 fragments de savoir-faire et d’artisanat, François Daireaux collectionne ces échantillons de mains en action, comme autant d’outils pris ça et là, transposés en dehors de tout contexte, réunis de manière inédite en un seul et même lieu.

Passée la frénésie des travailleurs des rues, il faut quitter ces anonymes de la Grange à Dîmes pour suivre François Daireaux sur le pas de porte de l’abbaye.
Marcher, parcourir, à l’instar de grands photographes et reporters, François Daireaux a intégré la promenade à son processus de création. Welcome.
Vous voici en train de piétiner l’œuvre en mousse florale moulée en silicone qui ouvre la suite de l’exposition. Œuvre éphémère s’il en est, qui, narguée par sa voisine d’en face restée intacte, voit ses protubérances paysagères se dégrader au fur et à mesure des passages et de l’ensoleillement.
Retour à la sculpture et aux matériaux de bricolage, François Daireaux symbolise le seuil par ce passage, maquette d’une nature synthétique en perpétuelle dégradation. Instant de pause sur la surface instable de ce tapis de bienvenue.

Inter : « J’utilise le médium photographique avec la pensée d’un plasticien et d’un marcheur, c’est-à-dire d’un artiste qui affectionne la lenteur. » François Daireaux

Avant de pénétrer dans la salle du Parloir, l’artiste a une nouvelle fois convoqué la curiosité et le regard du visiteur en plaçant sous le meuble de présentation de ses publications, une vidéo, Saisons. Durant 1 minute et 15 secondes, un homme balaye avec ses pieds des feuilles mortes. Petits fragments du voyage, comme un croquis volé, gros plan sur une petite action.

Comme dans tout voyage il y a aussi des rencontres, qui se passent parfois de mots, surtout quand la langue s’y oppose. P. Chellappan, 76 ans modèle au collège of Fine arts de Trivandrum en Inde, a croisé le regard de François Daireaux. Il en résulte 28 moulages de bustes, dont les originaux avaient été réalisés par les élèves de l’école, et une vidéo de 25 minutes où pose le septuagénaire.
Là encore, François Daireaux n’a pas peur des grands écarts, la vidéo rappelant aux effigies de plâtre que le vivant se saisit avant dans tout dans son mouvement, même le plus figé. Dans cette salle, où pouvait enfin se rompre le silence, s’instaure un dialogue silencieux entre les bustes  de Chellappan et la vidéo de François Daireaux, entre deux médiums qui tentent de saisir le vivant.

Un couloir, quelques pas, la promenade n’est pas longue pour arriver sur les terres d’Asie. Dans la salle des Religieuses, autrefois dédiée aux activités diurnes, Cent-une photos à même le sol créées un parcours labyrinthique. Demandant un pas lent et aléatoire, le cheminement se fait, d’aller et venue, de retour en arrière, d’observation attentive entre ces détails, fragments d’objets et de vie.
Le regard occidental se pose, il n’est plus de codes collectifs, de sens de visite, c’est l’envie de voir qui guide le visiteur dans cet immense mappemonde à échelle humaine. Le voyage se revit hic et nunc, une visite non-guidée qui fait passer indifféremment de l’Inde à la Chine, sans chercher de sens, aux images comme à la visite, l’errance du visiteur fait vivre le dispositif.

Tout voyage touche un jour à sa fin. Les derniers moments sur place sont souvent flottants et déjà nostalgiques. Dans la salle des latrines, Prise, marque la fin du parcours, une vidéo filmée sur le vif, faite de réactions intriguées et curieuses.  

François Daireaux
— 78 suite, 2004-2008, work in progress. Installation vidéo. 10 films de 6 à 7 minutes.
— Welcome, 2008. Installation, mousse florale et silicone.
— Saisons, 2006. Vidéo sur écran au sol. 1 min 15.
— P. Chellappan, 2008. 28 moulages en plâtre sur selles de sculpteur. Vidéo de 25 minutes.
— Cent une, 2008. Installation photographique. Cent-un tirages exposés au sol.

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