DESIGN | CRITIQUE

Good Design, Good Business

PCéline Piettre
@09 Nov 2010

En accueillant l’exposition itinérante «Good Design is Good Business», initiée par le très respectable Museum für Gestaltung de Zürich, Le Lieu du design s’offre une légitimité historique, et parvient à conforter, à même les cimaises, sa vocation première: intégrer la créativité aux enjeux économiques du design.

Geigy ou l’essor d’une économie créatrice

Geigy, la Bâloise, est avant tout une entreprise, devenue l’une des pointures de l’industrie chimique et pharmaceutique dans les années 1960 et 1970 – elle sera associée ensuite à Ciba puis absorbée par Novartis. Son trait de génie: engager des graphistes novateurs sous la direction artistique de Max Schmid, afin de concevoir l’identité visuelle et la publicité de la firme. Par cette stratégie, elle devient une référence incontestée en manière de typographie, révolutionne le packaging des médicaments et participe amplement à la diffusion du style international suisse: caractère en bâtons sans empâtement (ou sans-sérif), composition asymétrique et couleur en aplat. Difficile d’y croire au premier abord, mais le laboratoire de design Geigy, qui atteint les 150 employés en 1960, ouvre la voie à la communication d’entreprise à grande échelle, comme celle d’Olivetti ou IBM.

Si on déplore un accrochage un peu sévère, de stricte obédience muséale ― en comparaison avec la scénographie d’ «Inspired by Nature» par exemple, joyeusement immersive ―, et s’il faut du temps aux non initiés pour passer la barrière psychologique des emballages et autres supports peu attractifs, le contenu de l’exposition est à la hauteur de son enjeu de départ. A savoir, prouver le rôle de Geigy dans l’émergence du graphisme contemporain.

Rationalisation et simplification du message

En tête de gondole, l’affiche pour l’antimite TRIX (1952), qui dénonce avec humour les dégâts des nuisibles, par l’intermédiaire d’un gant honteusement grignoté d’où s’échappe un index. Le message est simple. Le doigt conduit le regard vers le nom de la marque salvatrice. Les détails du lainage sont stylisés en de petites spirales. Les couleurs harmonieusement réparties sur un fond noir. Le graphiste Herbert Leupin, à travers sa touche personnelle, ludique et réaliste, s’inscrit dans un processus de rationalisation qui vise la lisibilité et l’efficacité. Sa créativité est au service de la communication, et des enjeux économiques qui la sous-tendent. Le graphiste moderne est né.

Malgré quelques retours en arrière ― le style figuratif et paysagé de Willi Gunthart par exemple (cf. les publicités pour les pesticides agricoles) ― le studio Geigy ne cesse d’innover dans sa manière de promouvoir et d’informer. La tendance suit le style suisse (créé dans les années 1950 par Emil Ruder et Armin Hofmann autour de la jeune Ecole de design de Bâle) et va vers une synthèse des formes. Une stylisation du trait que l’on retrouve avec les insectes d’Andreas His ou les fourmis noires sur fond rouge de Karl Gerstner.

Chez Harry Böller, l’un des anciens étudiants d’Emil Ruder, la typographie prend un rôle dominant et supplante peu à peu le dessin. En 1964, sa publicité pour le médicament Insidon se réduit à un assemblage de lettres décroissantes, qui disparaissent progressivement à l’image de la maladie à soigner.

Enfin, une partie de l’exposition est consacrée aux emballages pharmaceutiques, qui feront date dans l’histoire du graphisme comme un exemple réussi de normalisation. Sous la direction de Max Schmid, toute la gamme visuelle est remaniée avec des couleurs vives, des éléments géométriques, une police de caractère sans serif et asymétrique ― là encore, conformément au style international suisse. Désormais, les boites sont divisées en deux zones bien distinctes, l’une pour la couleur associée au produit, l’autre pour le nom de ce dernier. Le packaging des insecticides et des pesticides (Gerasol, Gesarex, Gesin) seront revisités par Andreas His dans le même esprit.

Geigy et après?

Si on aime les incursions pop et/ou psychédéliques des designers de la filiale américaine (car l’entreprise fait des petits en Angleterre, à Manchester, mais aussi aux Etats-Unis), le graphisme de Geigy est surtout remarquable par son homogénéité. «L’unité dans la diversité » comme le proclame la firme. On y comprend la genèse du style suisse et son impact sur la création actuelle. Et cela nous donne une occasion de réfléchir à notre production nationale: existe-il un graphisme français? C’est justement la question que se posent les intervenants (sociologues, institutionnels et journalistes) au Lieu du design, le 7 décembre 2010, lors d’une conférence à l’occasion de la Biennale du design de Saint-Etienne. Profitons en…

Markus Löw pour Geigy
— Acaralate 2 E/Geigy? US/US, ca.1967. Boîte Offset. 26 x 16.9 x 11.6 cm. Collection du Museum für Gestaltung Zürich.
Herbert Leupin pour Geigy
— Trix, slogan «Trix…pas de trous de mites», 1952. Affiche. Lithographie. 127 x 90 cm.
Karl Gerstner pour Geigy
— Affiche pour l’insecticide Neocid, 1953.
Harri Boller pour Geigy
— Etiquette du médicament Insidon, harmonisant psychovégétatif, 1964.
Max Schmid pour Geigy
— Emballage pharmaceutique pour le médicament Desogen, 1950.

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