DANSE

Goldbarrgorod

PEmmanuel Posnic
@22 Oct 2008

Bienvenue à Goldbarrgorod, la ville où l’hypermodernité a dû naître. Ou aurait pu naître, si les utopies avaient encore un sens. Après «Vider Paris», Nicolas Moulin poursuit ici son exploration des cités invisibles. Quand la civilisation croise sa propre déchéance et la beauté qui accompagne les ruines.

Goldbarrgorod est la contraction de deux mots. La première partie provient de Goldbach, un mathématicien qui a produit une théorie autour de la racine des nombres pairs. La seconde, de «Gorod» qui en russe signifie «ville», réminiscence déguisée des utopies soviétiques. Goldbarrgorod, la ville des combinaisons multiples et des modules qui, à force de densité, deviennent étrangement belles et complexes.

Goldbarrgorod, c’est aussi l’installation centrale de l’exposition. Derrière cette maquette de ville, située entre la sculpture et le plan d’urbanisme, se profilent les mégalopoles modernes. New York, Tokyo, Hongkong, bientôt Pékin et leurs «ventres» économiques, ces immenses quartiers de gratte-ciel aux formations exponentielles.
L’installation de Nicolas Moulin tire aussi vers le surnaturel du côté du cinéma expressionniste, Métropolis en tête, ou des films d’anticipation à la Blade Runner. Mais la réalité reprend très vite ses quartiers. Ce qui constitue les modules des immeubles est bricolé à partir de structures d’ordinateurs, d’unités centrales plus précisément. Là aussi, le «ventre» de la bête. Nicolas Moulin n’y a laissé que le squelette. Il a ensuite solidarisé ces morceaux, hétéroclites au départ, amoncellements cohérents et dynamiques à l’arrivée.

La matérialité de l’ensemble n’échappe pas au regard, pas plus qu’à la véritable nature de cette maquette. Le métal est retenu ici au motif qu’il renvoie autant à la fabrication humaine qu’à l’échec des sociétés productivistes. Et par extension, à l’échec des utopies urbaines des XIXe et XXe siècles.
Les sociétés technicistes ont fait leur temps, elles ne produisent aujourd’hui que des ruines. Goldbarrgorod en fait partie: ville-fantôme où plus rien ne brille, ville-déchets à l’amoncellement vertigineux, il ne lui reste que le lustre délavé de son supposé passé.

Et peut-être aussi de la mélancolie? Pas vraiment. Les ruines de Nicolas Moulin sont encore fumantes. Une mécanique inquiétante, envoûtante sourd de ses entrailles. Ce dont témoigne Zeitreisezusehen, cette plate-forme au coffre noir laqué d’où surgissent plusieurs foyers lumineux produits par des néons tournant comme des radars d’observation…

Nicolas Moulin installe toujours son spectateur à la lisière d’un phénomène qui le dépasse, aux aguets d’une transformation naissante. Il y a chez lui ce paradoxe permanent d’une forme autoritaire et implacable qui tente de produire sa propre exubérance. Son minimalisme a la saveur de l’étrange et lorsqu’il se frotte aux chantiers de l’utopie monumentale moderne, se mâtine même de la peur qui régit notre rapport avec le pouvoir.

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