DANSE | CRITIQUE

Glass Tooth

PKatia Feltrin
@22 Fév 2008

Avec Glass Tooth (2006), Saburo Teshigawara compose une œuvre d’art totale. Il conçoit l’éclairage, le son, la chorégraphie, le dispositif scénique, les costumes… Dans cette pièce montrée en France pour la première fois, il évolue sur un tapis de verre brisé, seul ou avec Rihoko Sato.

Formé en danse classique et en arts plastiques, le Tokyoïte Saburo Teshigawara étonne dans son désir de tout maîtriser. Sa pièce chorégraphique est conçue comme une œuvre d’art totale, tant d’un point de vue plastique, sonore, que chorégraphique. Dès le début, son sens singulier de la lumière fascine lorsqu’il cherche son équilibre le long d’un tapis de verre brisé.
L’éclairage progressif, rappelant L’Éloge de l’ombre de Tanizaki, donne peu à peu consistance aux vitres présentes derrière la surface de verre, et jusque-là invisibles. Des contours de formes humaines se dessinent subtilement derrière ces glaces. L’on perçoit de mieux en mieux les mouvements timides des protagonistes. Les danseurs hésitent derrière la surface protectrice du verre. Puis, les mouvements évoluent vers une circularité plus harmonieuse. Les vitres se retirent. Dans le même temps, les corps se libèrent. Certains s’accordent pour former une entité tricéphale chuchotant au pied de la rivière de verre brisé. Des sons organiques s’entremêlent à la composition musicale faite de bruits et de souffles.

Une autre surface de verre brisée apparaît, en arrière plan. Sur le pourtour, Saburo effectue des courbes amples avec ses bras que le regard peine à saisir. La vitesse de perception du spectateur est trop lente et des traînées de lumière filent les mouvements en raison de la basse intensité lumineuse.

La scène est tour à tour camera obscura, bain révélateur. La chorégraphie et l’espace se découpent en plusieurs plans-séquences très contrastés que la lumière architecture, révèle. L’arrière plan de verre s’éteint. Le premier plan réapparaît, des danseurs masqués par des bas entament des courses poursuites lors d’une prise de territoire toujours remise en cause. La danseuse Rihoko Sato effectue un solo sur un fond sonore de pluie mêlée à d’autres bruits. Ses bras lancés à grande vitesse forment aussi une traînée lumineuse, à la manière d’un filé photographique. Sa fluidité évoque la Danse serpentine de Loïe Fuller ou encore les mouvements de la rascasse, ce poisson électrique aux amples nageoires drapées.
La soliste chute régulièrement, légère comme une plume projetée contre le sol qui se redresse instantanément animée par un processus inextinguible.
La lumière s’allume à l’arrière plan révélant un Saburo en proie à des fulgurances sonores et rythmiques. Puis il caresse le verre à même le sol. « Le verre brisé n’est pas dangereux. Je le touche et il répond à mon contact », explique-t-il dans une interview menée par Beate Hentschel. Il chute parfois sur ce réceptacle tranchant qui pourrait lui déchiqueter la peau. Il plonge aussi sur le sol comme dans une eau gelée souple aux surfaces miroitantes. Selon lui, ces innombrables réflexions du verre représenteraient les particules de temps.

Certaines séquences évoquent un univers expressionniste de par la lumière et les ombres fortes en diagonales ; le son et les gestes participent de cette ambiance surtout lors du duo entre Saburo et Rihoko qui fait même basculer la pièce, par son aspect organique, vers la performance buto. Les danseurs sont situés dans une “chambre” d’écho, chaque souffle est amplifié ; Saburo se déchaîne dans des cris, des hurlements, des rires qui s’entremêlent avec les échos lointains des sons des deux danseurs. Rihoko plus discrète émet des souffles qu’elle accentue en fonction de ses mouvements. Les sons produits engendrent de nouvelles spatialités sonores, corporelles et une accélération rythmique. Puis la lumière s’éteint brutalement sur cet incessant développement.

Dans un solo final, agrémenté d’une musique classique parasitée, Saburo bafouille avec une débilité consentie, une gestuelle empruntée au vocabulaire de la danse académique. Dans la deuxième partie du solo, le chorégraphe retrouve son style, ses amples courbes et contre courbes, son mouvement inlassable qui semble s’auto engendrer avec ses traînées lumineuses.

Mais la fin déçoit. On a le sentiment que ce solo interminable en référence à la danse classique brouille un peu les pistes de cet ensemble poétique, comme si le style de Saburo ne réservait plus de surprise.

20h30

— Chorégraphie : Saburo Teshigawara,
— Assistante à la chorégraphie : Rihoko Sato
— Scénographie : Saburo Teshigawara
— Sélection musicale : Saburo Teshigawara, Neil Griffiths
— Son : Tim Wright
— Lumière : Saburo Teshigawara
— Coordination technique et lumières : Sergio Pessanha
— Costumes : Saburo Teshigawara, Kei Miyata
— Habilleuse : Jo Ford
— Régie générale : Markus Both

Avec :
Saburo Teshigawara, Rihoko Sato, Azusa Yoshida, Sebastien Mari, Mie Kawamura, Jeef

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